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attriste encore le paysage mélancolique et rude. Sa désolation annonce le voisinage de la côte septentrionale et l’abord de la région montagneuse dont l’ossature projette sa poussée dans la mer. Les arbres se font plus rares et plus grêles ; les prairies deviennent des landes marécageuses : rien n’évoque plus la belle santé des plaines du Warwickshire. Des maisons étriquées, de maigres villages remplacent les grandes fermes aux pignons pointus, aux poivrières de vieilles tuiles. La demeure du tenancier gallois ne ressemble guère à celle du fermier anglais. Le train longe l’estuaire de la Dee, puis tourne avec la côte elle-même. Voici les plages de la mer d’Irlande : Prestatyn, Rhyl, Abergele, Colwyn Bay… Ce sont d’immenses orbes de sable fin, à qui la faveur anglaise a valu, sur une longue promenade d’asphalte, une file de lampes électriques, devant un Pavillion ou casino, généralement polychrome et délavé, qui ressemble à quelque laissé pour compte d’une exposition de Chicago. La côte pousse vers le nord une petite presqu’île, où s’engage notre train, sur Llandudno.

Il fait nuit noire quand nous arrivons à cette pointe extrême du Nord-Galles. Dans la petite ville, désertée des touristes, le vent fait vaciller les lumières. Les rues sont trop larges et trop droites, les maisons trop régulières et trop unies. C’est le courant d’air et la solitude qui nous accueillent. Je pense avec mélancolie aux pittoresques cités de jadis, dont chacune a sa physionomie, et qui détachent au-devant du voyageur leurs rues capricieuses, avancent vers lui des façades hospitalières, ouvrent sur son chemin des portes d’hôtellerie. Nous cherchons un gîte. Les hôtels sont loin de la gare, du côté de la plage, et fermés depuis la fin de la saison. D’ailleurs, je voudrais loger chez des Gallois. Dans une de ces rues de petit commerce, dont tant de maisons étalent la banale devanture d’épicerie et de refreshment-room, l’écriteau apartments désignait presque chaque porte. Je m’arrêtai au nom d’Owen, sûr d’avoir affaire à un Gallois.

M. Owen était l’hôte que je pouvais souhaiter. Son empressement, sa politesse et son obligeance me furent une bienvenue. Il me donna sa meilleure chambre, qui était fort bonne, affecta le salon à mes repas, mais parut inquiet quand je parlai de dîner. « C’est mercredi, » me dit-il. Et comme je le regardais surpris, il accentua : « T is Wednesday. » — « J’entends bien, fis-je ; mais pourquoi ne dînerais-je pas le mercredi ? » — M. Owen