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pays que les imitateurs des apôtres. Mais ce ne sont là que des exceptions, des abus imputables à la faiblesse humaine, et dont il serait injuste de rendre responsables tous les missionnaires. Il faut se garder de généraliser les faits particuliers et, envisageant les choses de plus haut, nous allons essayer de remonter à la source de ces abus.

Ici, nous rencontrons le problème, très délicat, des rapports des missionnaires avec le gouvernement de leur pays, spécialement dans la politique coloniale. Le principe que ceux-ci ne doivent jamais perdre de vue et qui doit servir de règle à tous leurs actes, c’est qu’ils sont, avant tout, les ambassadeurs de Jésus-Christ, le prince de la paix, et que, partout, ils doivent planer bien au-dessus de tous les partis, de tous les mesquins intérêts de comptoir ou de plate-forme électorale. Cela posé, le missionnaire a deux attitudes à prendre vis-à-vis de son pays. Ou bien il se considérera comme le pionnier d’une entreprise coloniale, comme l’avant-garde du protectorat ou de la conquête, et alors il s’efforcera par tous les moyens d’obtenir pour ses nationaux, dans la région qu’il habite, des avantages pour leur négoce et des privilèges ou immunités judiciaires, et en cas de contestation, il en appellera tout de suite au consul de son pays. Si le consul ne réussit pas à obtenir gain de cause des autorités indigènes, il provoquera l’intervention de l’amiral ou du général, qui imposera par la force une indemnité pécuniaire, des privilèges pour le missionnaire, ou même une concession de terrain.

Ou bien il s’abstiendra avec soin de toute opération commerciale et de toute intrigue politique, se contentant d’user de son autorité personnelle pour protéger les Européens ; il s’efforcera d’inspirer aux indigènes le respect, l’admiration, l’amour pour son pays, en donnant l’exemple de la vertu, de la loyauté, du désintéressement ; enfin, il leur fera connaître sa langue, les héros de son histoire nationale et les chefs-d’œuvre de sa littérature : en un mot, il n’usera que d’une influence morale, religieuse, civilisatrice au profit de sa patrie.

De ces deux conduites, on devine sans peine les effets fort différens produits sur les indigènes. La première a des résultats funestes, au point de vue de la paix et de la civilisation. Sans doute elle peut, d’abord, rapporter quelques profits commerciaux et politiques, mais ces avantages sont chèrement achetés