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social du monde païen. Il faut bien en rabattre des tableaux idylliques, que Daniel de Foë, Bernardin de Saint-Pierre et les disciples de Jean-Jacques. Rousseau ont tracés de ces bons sauvages. A les entendre, on aurait cru qu’ils menaient une vie paisible, se nourrissant des fruits que la terre, en mère généreuse, leur offrait en abondance, et se reposant, après un facile travail de la journée, en dansant, au clair de lune, des rondes joyeuses ! Combien différente est la réalité ! Elle ressemble à un enfer plutôt qu’à ce paradis terrestre. En Afrique, comme en Océanie, c’est la loi du talion qui gouverne de son sceptre de fer le monde païen. La guerre sans trêve et sans merci, la guerre à mort sévit, en permanence, entre les peuples, entre les tribus et jusqu’entre les dans et les familles ennemies. Et, après la victoire, on immole les prisonniers ou bien on les engraisse pendant quelques semaines, pour en faire un repas de cannibales et on réduit les femmes et les enfans en servitude. Voici le témoignage d’un chef Cafre : « Avant que l’Evangile fût annoncé chez nous, nous étions comme des bêtes féroces. Nous ne rêvions que guerre et boucherie. Chacun s’insurgeait contre son voisin, chacun attentait à la vie de son semblable. » Les guerres féodales du moyen âge et la « vendetta » corse nous donnent une image affaiblie de cet état de choses.

C’est à ces peuples belliqueux et vindicatifs, que les missionnaires chrétiens font entendre les paroles de paix : « Pardonnez les offenses, afin que le Père céleste vous pardonne aussi les vôtres. — Aimez vos ennemis — Bénissez ceux qui vous maudissent. » A la loi du talion, ils opposent la loi du pardon et, joignant l’exemple au précepte, ils se sont souvent entremis, comme arbitres, entre des tribus sur le point d’en venir aux mains et ont réussi à prévenir l’effusion du sang. Par exemple M. Ad. Jalla, de la mission évangélique de Paris, il y a quelques années, intervint auprès des Ba-Rotsi du Haut Zambèze et réussit à les empêcher de livrer bataille à une tribu ennemie.

Après la guerre et les vendettas de tribus, les deux pires fléaux des nations païennes et de la société musulmane sont l’esclavage et la traite, d’autant plus qu’ils y sont autorisés par la religion. Il est vrai, pour être juste envers l’islamisme, que ce sont des puissances chrétiennes qui ont créé la traite et l’ont pratiquée, à leur profit, pendant trois siècles et demi. On sait, en effet, que c’est à la fin du XVe siècle qu’Henri le Navigateur,