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heureux de céder la parole à l’abbé P. Pisani : « Un type que nous ne connaissons pas, dans nos missions, dit-il, c’est le missionnaire marié et père de famille. On dit souvent qu’une des raisons qui démontrent l’avantage du célibat ecclésiastique, c’est l’impossibilité où l’on serait de trouver des missionnaires parmi les gens mariés. Or cet argument paraît aujourd’hui contredit par des faits certains : sur 6 000 missionnaires protestans, 2 000 sont mariés et, pour la plupart, élèvent dans leurs missions les enfans qui y sont nés et parmi lesquels, hélas ! la mort fait d’impitoyables ravages… Aux cent trente-quatre victimes que les missions protestantes ont perdues, et dans les derniers troubles de Chine, il faut ajouter cinquante-deux enfans égorgés avec leurs parens ou, sort plus affreux, réduits peut-être en servitude. Si affligeantes que soient ces considérations, il n’en est pas moins vrai que les femmes de missionnaires enseignent aux païens et aux païennes les devoirs de la femme chrétienne, pour le gouvernement de la maison et l’éducation de la famille[1]. »

Et j’ajouterai que cet exemple de familles chrétiennes, où tous s’entr’aiment et s’entr’aident, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, est nécessaire pour contre-balancer le mauvais effet produit par la conduite d’autres catégories d’Européens. Il arrive, en effet, trop souvent, que les marins et les traitans, les résidens ou les chefs de poste ou de factorerie « vivent à la turque », imitant les mœurs des indigènes et, qui plus est, ne respectant même pas leurs usages et leur enlevant leurs filles, sans en payer le prix. C’est là la cause de bien des rancunes qui, après s’être accumulées, éclatent souvent en révoltes. Au contraire, les indigènes sont sensibles aux exemples de vertu et de dévouement donnés par ces époux missionnaires, qui, loin de se confiner dans un bien-être égoïste, s’intéressent à leur sort et sacrifient leur repos et risquent parfois leur vie pour les soigner eux-mêmes en temps d’épidémie. Malgré leurs préjugés et leur méfiance contre les blancs, leur cœur, — cette faculté identique à travers la diversité des races, — est touché par tant d’abnégation et tant de beauté morale. Et, une fois le cœur pris, la place est conquise et la sainte cause de la famille est gagnée auprès du païen le plus récalcitrant !

On peut, maintenant, se faire une idée assez juste de l’état

  1. Abbé P. Pisani, les Missions protestantes à la fin du XIXe siècle, Paris, 1903, in-12.