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de Lavergne, qui peut dire si les destinées de la France n’auraient pas changé de face ? La révolution de Février, véritable coup de foudre dans un ciel serein, interrompit brusquement la carrière politique de Lavergne. Il s’en affligea moins pour lui que pour le pays, rejeté ainsi dans des aventures qui devaient lui coûter si cher. Quant à lui, il reprit sa plume.

Les lettres, a-t-on dit justement, sont les sublimes consolatrices de l’adversité. L’écrivain tombé du pouvoir ressent moins amèrement sa chute ; il a dans l’étude un intérêt de tous les instans et, dans les succès littéraires, un baume souverain, capable de guérir les blessures de l’amour-propre. Aussi les hommes de lettres supportent-ils en général avec dignité les disgrâces de la politique. Le fier isolement de Chateaubriand après la Restauration, l’exil volontaire de Victor Hugo, et, dans la circonstance qui nous occupe, la noble attitude de Guizot, sont dus non seulement à la grandeur d’âme de ces hommes illustres, mais aussi au culte bienfaisant des belles-lettres.

Lavergne était revenu à la Revue des Deux Mondes, dont les fonctions publiques l’avaient éloigné et dont l’amitié de Buloz lui rouvrait les portes. Il en fut à nouveau un actif collaborateur. Dès le 1er avril 1848, j’y trouve un article de lui intitulé : le Budget de la République. En mai et en juin, il publie des études sur l’Algérie et sur les Écrits de Proudhon, et, le 1er août, sortant du cadre habituel de ses travaux, il s’essaie dans le roman ; il écrit une nouvelle qui a pour titre : Élise et Albert.

Mais l’écrit le plus important de Lavergne, à cette époque, est un article publié aussi dans la Revue des Deux Mondes, à la date du 15 juillet 1850, sous ce titre : Guillaume III et Louis-Philippe. Il y rendait compte d’un livre de M. Guizot, récemment paru et intitulé : Discours sur l’histoire de la Révolution d’Angleterre. Ce livre avait pour objet l’étude de cette question : Pourquoi la Révolution d’Angleterre a-t-elle réussi ? Ce qui impliquait nécessairement l’examen de la question parallèle : Pourquoi la Révolution française n’a-t-elle pas réussi jusqu’à présent ?

Tout en appréciant le jugement porté par l’éminent écrivain sur ces deux grands événemens de l’histoire, Lavergne avait été amené à tracer un parallèle entre les deux princes qui avaient tenté de finir la Révolution en lui donnant la forme de la monarchie constitutionnelle.