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vement d’ailleurs, — alors qu’ils n’étaient plus que de misérables débris, — la civilisation américaine a entrepris de faire quelque chose pour les Peaux-Rouges et des résultats assez remarquables ont été atteints pour qu’on puisse considérer ce problème rétrospectif comme résolu. Mais les Anglo-Saxons d’alors, tout en angles et en saillies, ne possédaient en rien l’art de manier les natures primitives ; ils n’arrivaient ni à les comprendre ni à s’en faire estimer. Aussi eurent-ils maintes fois recours à notre intermédiaire. Aux Illinois et dans les alentours, les officiers français[1] furent appelés à user largement de leur influence sur les tribus indiennes pour les amener à accepter le fait accompli ; et c’est à un Français que fut confié le poste de surintendant des affaires indiennes dans l’Alabama et sur les frontières de Floride. Anglais et Espagnols, dans leurs rapports avec les sauvages comme avec les créoles, étaient ainsi amenés à proclamer tacitement la puissance morale de la France au Nouveau Monde ; il était réservé aux héroïques Canadiens de prouver sa puissance ethnique.

iii

Ce prestige et cette force prennent toute leur raison d’être lorsque surgissent, à travers les brumes lointaines, certaines silhouettes dont les contours à demi effacés évoquent encore les âmes vaillantes, généreuses ou charmantes, qui furent celles de nos grands coloniaux d’autrefois. Combien différens des conquérans espagnols à l’audace terrifiante, des dissidens anglais à la foi rigide, ou des marchands de Hollande au mercantilisme têtu ! Trop souvent ils firent œuvre sentimentale là où leurs rivaux savaient faire œuvre pratique. Or, le sentiment, en colonisation, ne rapporte point, mais ce serait une erreur de croire qu’il s’évapore sans laisser de traces. Il ameublit le terrain où germent des idées.

Si nos coloniaux d’autrefois ne surent ni peupler ni s’enrichir, ils surent du moins séduire, et c’est par là que dans l’Hin-

  1. Parmi les petites garnisons qui occupaient les postes de la rive gauche du Mississipi, quelques-unes demeurèrent dans le pays après la cession de cette rive à l’Angleterre : elles passèrent sur la rive droite et y furent maintenues longtemps après que la rive droite elle-même eut été cédée à l’Espagne, laquelle était peu pressée de soumettre ces vastes régions.