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Ville brûle un grand feu en manière d’illumination, et pour cette population énervée, que le moindre incident terrifie ou ameute, les heures s’écoulent sans que parvienne aucune nouvelle. Jusqu’à minuit, rien ; l’exaltation, l’attente, les récits extravagans, les révélations contradictoires. Des villages voisins, continuellement, affluent des paysans annonçant que des gros de cavalerie circulent dans la contrée : on en a vu à La Neuville-au-Pont, à Auve, à Somme-Bionne : et, comme on ignore que ces détachemens, partout signalés, se réduisent en réalité à une cinquantaine d’hommes, toujours les mêmes, se repliant depuis le Pont de Somme-Vesles vers la forêt d’Argonne, on imagine toute l’armée de Bouillé investissant la ville et s’apprêtant à la saccager. Aux deux portes, celle des Bois et celle du faubourg Flaurion, les citoyens font sentinelle ; la placide cité de Sainte-Menehould s’est improvisée place de guerre et c’est comme aux pont-levis d’une ville forte, avec les Qui vive ? et les Avance à l’ordre ! obligés, qu’est reçu, vers minuit, Viet arrivant de Châlons. Il est conduit à l’Hôtel de Ville, communique au Conseil, resté en permanence, l’ordre émané de Bayon et dont le maire Dupin donne lecture : on discute ; qui osera se risquer à continuer la poursuite ? Drouet et Guillaume déjà ne sont pas revenus, tués ou pris par les cavaliers dont sans doute grouille la forêt ; il faut agir pourtant, mais comment ? Tandis que les municipaux temporisent, une rumeur monte de la place et l’on voit, fendant lentement la foule, dans la jaune pénombre des illuminations, la masse noire d’un cabriolet. Tout de suite se répand la réconfortante nouvelle qu’il contient les émissaires de l’Assemblée nationale.

C’est Romeuf et Bayon, en effet ; ils montent à la municipalité, présentent leurs pouvoirs, exigent qu’on vise leur passeport, manifestent le désir de continuer immédiatement leur route, et pendant que les patriotes s’empressent de courir à la poste et d’en ramener des chevaux frais, les deux « Parisiens » s’informent, s’enquièrent du passage de la berline, s’étonnent du manque de nouvelles ; la foule bientôt les voit reparaître dans le carré lumineux de la porte de l’Hôtel de Ville ; on crie : Vive la nation ! Vive l’Assemblée ! Ils saluent, remontent dans leur voiture aussitôt enlevée, au grand trot des chevaux, sur la route sombre qui s’enfonce, vers Clermont, dans la forêt.

Le chemin qu’on disait hérissé de dangers, ce chemin