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Bayon est très précis sur certains points mais aussi très succinct : en relevant l’horaire de sa course, on constate qu’en moins de six heures, il avait fait trente-cinq lieues et changé dix fois de chevaux : on peut croire qu’arrivé à Chaintrix, il n’en pouvait plus et qu’il fut aise de trouver un prétexte pour ne pas aller plus loin. Ce prétexte fut de Briges. Bayon, avisant ce militaire suspect dont, à tous les relais, il relevait le passage depuis Bondy, exhiba l’ordre de mission dont il était porteur et s’en autorisa pour interdire au maître de poste de procurer à l’officier les moyens de continuer son voyage. Puis, assuré, d’après les signalemens, que la berline qui le devançait était bien celle de la famille royale, il dépêcha un courrier avec ordre de l’arrêter : le fils de Jean de Lagny se chargea de la mission, sauta sur son meilleur cheval, et partit à fond de train vers Châlons[1].

Certain que sa poursuite, par le moyen de ce délégué, n’allait éprouver aucun ralentissement, Bayon revint à de Briges et l’interrogea. L’officier déclina son nom et ses qualités et n’hésita pas à convenir qu’étant au service du Roi, et ayant appris à Paris le matin, vers neuf heures, le départ de Sa Majesté, il s’était mis en route pour le rejoindre, ou tout au moins pour regagner Metz où se trouvait le dépôt de son régiment. D’ailleurs, pressé d’établir qu’il n’avait point été mis dans le secret de l’évasion, il rendit compte de son temps depuis trois jours : le samedi 18 « il avait monté à cheval avec le Roi, et était allé lui faire sa cour le dimanche matin ; » le lundi, il avait quitté Paris à sept heures du matin et passé toute la journée à Saint-Germain, « d’où il était revenu à Auteuil dans la soirée, pour ne rentrer chez lui qu’à minuit, sans avoir mis les pieds aux Tuileries[2]. » Bayon à qui cette enquête laissait le temps de souffler, la prolongea tant qu’il put ; elle lui procurait un autre résultat appréciable : l’obligation, aussi inutile qu’arbitraire où il se mettait, de détenir son prisonnier, lui commandait de continuer son voyage en voiture : tout ce lantiponnage, la recherche d’une voiture, l’interrogatoire, et aussi, sans doute, le souper, fournirent le prétexte d’une halte

  1. « Je n’hésite pas à croire que je suis sur la route du Roi ; mais embarrassé de M. de Briges… je fais partir devant moi un courrier en toute diligence, à qui je donne ordre de faire arrêter ses deux voitures, dont j’avais donné le signalement ainsi que venait de me le désigner le maitre de poste, et c’est son fils que je charge de cette mission. » Relation de Bayon.
  2. Archives nationales D XXIXb 36.