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aux écuries royales et conduisait à Metz les chevaux de M. de Briges, écuyer du roi et major des chasseurs du Hainaut, avec qui il avait quitté Paris de grand matin et qui l’avait laissé à Meaux pour prendre l’avance.

A peu près certain, maintenant, d’être sur la bonne piste, Romeuf sauta en selle et partit, tandis que les curieux, massés en nombre autour de la poste, cherchaient à confesser Duchesne, qui jurait n’en savoir pas davantage, et qu’on enferma pour plus de sûreté à la prison de la ville[1].

A la poste de la Ferté, où il arriva après cinq heures, Romeuf put, de nouveau, relever les passages successifs de la berline et du comte de Briges, suivi à une heure de distance par Bayon, qui avait relayé là, avant quatre heures, gagnant ainsi de vitesse sur Romeuf. Celui-ci ne s’arrêta que le temps de changer de cheval

  1. L’histoire de M. de Briges est fort obscure et il semble qu’il y aurait très grand intérêt à l’éclaircir. Joseph-Christophe de Malbec de Montjonc, comte de Briges, paraît avoir été mêlé de très près à tous les événemens de la Révolution. Malheureusement on ne trouve partout de lui qu’une trace des plus vagues. Dans une lettre de Marie-Antoinette à Mercy, datée du 3 février 1791 et publiée par M. Feuillet de Conches (Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Elisabeth, Plon, 1864-73), se trouve cette indication :
    « — Notre fuite s’exécutera de nuit… M. de Briges nous servira de courrier. » Ce personnage fut revu le 10 août 1792 et jours suivans aux Feuillans et au Temple, parmi les plus intimes et les plus dévoués serviteurs de la famille royale (Beauchesne, Louis XVII, 13e édition, tome I, p. 233). Il mourut fusillé à Vannes le 3 août 1795 à la suite de l’expédition de Quiberon. Il avait 34 ans (Expédition des Émigrés à Quiberon, par Charles Robert, de l’Oratoire de Rennes). Voici ce que dit, du voyage du comte de Briges, le comte de Séze dans son Histoire de l’événement de Varennes. — Il faut noter que de Séze s’était fait renseigner sur bien des détails par les anciens serviteurs de la Cour. — « Sans doute le marquis de Briges était parti sur les traces du Roi, on sait même sur quel cheval il était parti, on lui avait donné l’Argentin, un des coureurs les plus légers de la grande écurie, mais on se rappelle de même que M. de Briges n’avait été instruit que fort tard du départ du Roi, et ce n’est que le 21 à midi, qu’il avait demandé précipitamment un cheval. » Ce renseignement avait été fourni à de Sèze par M. de la Ravine, ancien piqueur de Louis XVI.
    Nous n’avons pu contrôler à quelle heure de Briges avait quitté Paris, mais il était parti avant Bayon, qui ne le rejoignit, comme on le verra, qu’à Chaintrix, quoique de Briges eût laissé l’Argentin à Meaux et poursuivi sa route sur un simple bidet de poste. Or, comme Bayon ne franchit la barrière qu’à midi, d’après sa propre relation, il s’ensuit que de Briges a dû partir plus tôt que ne le dit de Sèze. D’ailleurs, sauf le mot de Marie-Antoinette cité plus haut, rien ne confirme que de Briges ait été dans le secret de l’évasion. Il a pu ne se lancer sur la route de Metz que vers dix ou onze heures du matin, après avoir appris comme tout le monde le départ de la famille royale. Ajoutons que certains chroniqueurs ont prétendu que de Briges n’était pas mort à Quiberon et lui ont donné un rôle prééminent dans les aventures d’un des personnages qui ont revendiqué le nom et la personnalité du Dauphin, fils de Louis XVI. La survie du comte de Briges est une affirmation qui nous semble ne reposer sur aucune preuve.