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soirée, il avait conduit vers neuf heures ces chevaux rue Millet, la première porte cochère en entrant par le faubourg Sainte Honoré. On les avait attelés là à un cabriolet qu’il reçut l’ordre de mener de l’autre côté du pont Royal, où il dut attendre longtemps. A minuit un particulier l’avait abordé, accompagnant deux dames, l’une de taille très épaisse, l’autre grande, mince et jolie ; elles montèrent seules dans le cabriolet et l’on partit. A la poste de Claye, où l’on arriva vers deux heures, les voyageuses avaient mis pied à terre : une autre voiture suivait, dirent-elles, et elles désiraient l’attendre. Cette seconde voiture parut seulement à trois heures un quart. C’était une grosse berline, absolument fermée, attelée de six chevaux et précédée de deux courriers à cheval.

Pierre Lebas n’avait rien vu de plus : « on ne s’était point parlé ; » les deux dames avaient repris, sans dire mot, leur place dans le cabriolet qui était parti, après le relayage, avec la berline. Pour sa part, il avait reçu « un louis pour les chevaux et six francs pour boire[1]. »

Cette déclaration précise avait d’autant plus éveillé l’attention que l’adresse indiquée, par Lebas était celle de la maison du comte de Fersen[2]dont les relations avec la Cour n’étaient ignorées de personne : c’est sur la foi de ces bruits plus ou moins amplifiés, à mesure qu’ils passaient de bouche en bouche, que Romeuf se décida à changer son itinéraire ; il gagna la barrière Saint-Martin où il apprit qu’une heure auparavant un de ses camarades, Bayon, porteur de l’ordre de Lafayette, était passé, se dirigeant vers Metz[3].

Romeuf se lança néanmoins : il était près d’une heure de l’après-midi lorsqu’il s’engagea à franc étrier sur ce chemin qu’avait suivi, onze heures auparavant, la lourde berline de la famille royale.

A chaque poste, d’ailleurs, il allait pouvoir en relever la

  1. « Les officiers municipaux qui se sont transportés aux Tuileries, en exécution de l’arrêté du département de Paris, ont recueilli les premières indications que voici (suit la déclaration de Lebas que nous citons presque intégralement). » Archives nationales DXXIXb36, dossier 344.
  2. La rue Millet s’appelait officiellement depuis peu la rue Matignon.
  3. Bayon avait éprouvé, lui aussi, bien des difficultés à traverser Paris et à gagner la barrière. Parti à dix heures des Tuileries, il n’était sorti de Paris qu’à midi. Rapport sommaire et exact de l’arrestation du Roi, par Bayon, commandant du 7e bataillon de la 2e division.