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Monsieur le maire s’est rendu chez moi et m’a annoncé la nouvelle qui, sans doute, jettera la consternation dans l’Assemblée, du départ du Roi avec une partie de la famille royale….

Pas un mot, pas un murmure, nul ne bouge.

— J’imagine, reprend le président d’un ton grave, que l’Assemblée nationale, dans une conjoncture aussi imprévue et aussi importante, croira utile pour la tranquillité du royaume, pour le maintien de la Constitution, de donner les ordres les plus prompts pour que, dans toutes les parties du royaume, on soit instruit au plus tôt de cette nouvelle alarmante[1].

Beauharnais s’assied, et c’est tout. Personne n’ouvre la bouche : l’Assemblée paraît tombée en léthargie ; il semble que dans cette réunion d’hommes qui, depuis vingt-cinq mois, pérorent sans discontinuer, nul n’a plus rien à dire et que la source aux harangues est subitement tarie. À ce moment critique, on voit surgir à la tribune le député Regnaud ; c’est un avocat de Saint-Jean-d’Angely, connu pour son imperturbable assurance ; il a vingt-neuf ans, il est large d’épaules, bâti en hercule. Dans les sociétés où on le convie, il se targue de porter un homme sur son mollet et de tenir une femme debout, dans sa main, le bras tendu. Il ne faut pas moins qu’un semblable gaillard pour tirer l’Assemblée de sa torpeur. Regnaud débute en exaltant le sang-froid, le calme, l’union de ses collègues ; puis il propose qu’il soit à l’instant expédié des courriers dans tous les départemens « avec l’ordre de faire arrêter toute personne sortant du royaume. » Camus, grave, à mine sévère, appuie la motion, et sur ce point la discussion s’engage.

Beauharnais prévient ses collègues que Lafayette a déjà dépêché des courriers sur toutes tes routes. On s’étonne : Lafayette « n’est pas une autorité légale ; » qui a le droit de donner un pareil ordre ? Le pouvoir exécutif seul. Il est en fuite. Et l’Assemblée commence à tourner dans cet argument vicieux sans conclusion possible.

Pourtant on vote l’envoi des courriers. Mais quels décrets porteront-ils ? Quelle en sera la teneur ? Saisir toute personne sortant du royaume ? Et s’ils rencontrent le Roi sur la route, faudra-t-il donc attendre la frontière pour lui mettre la main au collet ? Regnaud émet l’idée d’ajouter « une disposition

  1. Archives parlementaires. Assemblée nationale, séance du 21 juin 1791.