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citoyens s’abordent. « Il est parti ! » Et, spontanément, par une irrésistible impulsion d’anxiété, tous marchent vers les Tuileries.

Le Carrousel s’emplit ; sur le pont Royal, une foule s’était massée, ce qui intriguait fort un capitaine des chasseurs de la garde, Philippe Dubois, qui, d’une des fenêtres du pavillon de Flore, regardait placidement ces gens très animés. Philippe Dubois était préposé à la surveillance de Madame Elisabeth ; il avait consciencieusement fait coucher un de ses hommes sur un matelas jeté en travers de l’unique porte des appartemens de la princesse, et comme ceux-ci, très isolés du reste du château, ne prenaient jour que du côté des jardins et de la rivière, le désarroi des services ne s’était pas encore propagé jusque-là. Le capitaine Dubois, pris de soupçons, ouvrit délibérément la chambre à coucher de Madame Elisabeth : personne ; une tapisserie soulevée laissait apercevoir une armoire à fond mobile, donnant accès à la galerie encore démeublée qu’on destinait au futur musée : la princesse, à l’aide d’une clef ployante qu’on retrouva sur le parquet, avait fait jouer cette machinerie et était sortie par-là[1].

  1. Philippe Dubois, 50 ans, capitaine de la deuxième compagnie de la section du Roule, rue de Duras. « Le 20 juin, à dix heures et demie du soir ou environ, il a accompagné Madame Elisabeth jusqu’à son appartement… Un des garçons de la chambre a fermé la porte en dedans ;… alors un des chasseurs de la garde, ayant mis un matelas au travers de la porte… y a passé la nuit entièrement… Le 21, c’est seulement sur les huit heures que le déposant qui était aux fenêtres qui donnent sur le pont Royal, aperçut une affluence de peuple qui venait droit au château en criant… Ce déposant, mettant le sabre à la main, a été saisir le garçon de chambre et lui a ordonné de le conduire chez Madame Elisabeth…
    C’est dans cette chambre où le déposant a remarqué une porte ou issue qu’il pense donner sur le palier qui conduit à la grande galerie destinée à faire le musée. »
    Documens conservés au greffe de la Cour d’Orléans, Bimbenet. Pièces justificatives.
    C’est sans doute à cette issue qu’il faut rapporter la déclaration suivante de Etienne Trompette, menuisier du Roi, rue de Bourbon :
    « Il y a près de deux ou trois mois, le sieur Renard, inspecteur des bâtimens du Roi, lui a commandé une armoire d’après les mesures et modèles fournis par ledit Renard. Cette armoire est d’abord composée de deux portes ouvrantes sur la face ; d’une séparation sur la largeur… une autre séparation dans le milieu de la profondeur, avec une porte à coulisse dans cette séparation, roulant sur un banc de fer qui est en haut, suspendue sur des roulettes pour le faire mouvoir plus facilement… Il y a plusieurs tablettes posées sur des tasseaux à crémaillère. Il est possible en étant les tablettes, après en avoir ouvert une des deux portes de devant de cette armoire et ouvert la coulisse du milieu, ainsi que la coulisse du fond, de passer à travers l’armoire comme à travers une porte, si l’armoire est placée devant une porte qui ouvre à l’extérieur. Observe le déposant qu’il a fait conduire la dite-armoire dans le vestibule de l’ancienne salle de la Comédie-Française, cour des Suisses, au château des Tuileries où il l’a laissée. »
    Documens conservés au greffe de la Cour d’Orléans. Bimbenet, Pièces justificatives, p. 50.