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le sol, écrit en vain à Dumouriez quatre lignes désespérées pour en obtenir un secours, et se trouve finalement contrainte, pour échapper à la corde dont la menacent les Autrichiens, de s’enfuir en abandonnant à Bruxelles « douze malles pleines d’habits[1], » faute d’argent pour solder les charrettes qui les eussent emportées. Dans son affolement, elle en oublie jusqu’à sa montre.

Dans la journée du 24 mars 1793, les Français, obligés d’évacuer Bruxelles à la suite de la défaite de Nerwinden, avaient à peine franchi les portes de la ville, que le peuple brûlait sur la Grande Place l’arbre de la Liberté, — cet emblème d’une si étrange liberté, — et traînait dans la boue le bonnet rouge, cet « épouvantail de l’aristocratie. »

Réoccupé par ses anciens directeurs Bultos et Adam, le Théâtre de la Monnaie mettait de nouveau sur ses affiches : « Les comédiens de Son Altesse Royale ; » dans la salle, les armes de l’archiduchesse remplaçaient le bonnet rouge avili et insulté, et ces voûtes qui devaient être témoins de la ruine définitive de la superstition, retentissaient d’affreux refrains contre-révolutionnaires composés pour la circonstance :


D’un système sinistre
Ne craignons plus l’effet,
Quand Metternich paraît
Notre bonheur renaît[2].


Et la salle croulait sous les applaudissemens à l’audition de cette sublime poésie :


Quand Metternich parait,
Notre bonheur renaît.


Et, pendant ce temps, la pauvre Montansier, sans montre et sans malles, fuyait sur les routes encombrées, fléchissant à la fois sous le poids de la fatigue et sous celui du remords, ayant manqué à sa sublime mission, n’ayant même pas pu « porter le premier coup aux abus religieux dont le pays était infecté ! » Car, honte suprême et lamentable échec, en cette salle où, de nouveau, régnait l’exécrable aristocratie, Bultos et Adam, trop bien vengés des persécutions subies, pouvaient impunément donner Pierre le Cruel, Gaston et Bayard ; et faire relâche le jour de Pâques !


CH. GAILLY DE TAURINES.

  1. Archives nationales, F1° 11, dossier 7.
  2. Faber, Histoire du théâtre français en Belgique.