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partout. Entrant brusquement chez le vieil évêque de Namur qui en demeurait confondu, ne comprenant pas bien : « Monsieur, lui déclarait Delacroix, d’une voix engageante, nous sommes venus ici pour vous donner la liberté de vous marier[1] ! »

Comme elle l’avait promis, la Montansier participait de tout son zèle à cet apostolat de la Liberté. Le jour où, — contrairement à la volonté bien manifeste des Belges et en violation de tous nos engagemens, — fut fêtée la réunion de la Belgique à la République, après qu’une distribution de pain, de viande et de boisson eut été faite au peuple « au bruit d’une brillante musique, » l’active directrice donna en son théâtre, une représentation gratuite, et à cette occasion, les armes de l’archiduchesse qui étaient encore dans la salle furent abattues et remplacées par le bonnet rouge « épouvantail de l’aristocratie[2]. »

Mais à ces spectacles enflammés, pas un habitant du pays ne paraissait, et La Ligue des Tyrans ou bien Les Victimes cloîtrées eussent été jouées devant les banquettes, si les militaires et les jacobins français ne les eussent remplies[3].

C’était là d’ailleurs un résultat qui paraissait admirable aux commissaires de la Convention et dont ils se déclaraient satisfaits. « Il était nécessaire qu’elle vînt, écrivaient-ils en parlant de la Montansier, non seulement pour les habitans, mais pour les militaires. Il en passe un très grand nombre, ils viennent au spectacle ; les pièces patriotiques les électrisent… Après la comédie, ils montent sur le théâtre danser la Carmagnole et chanter la chanson Marseillaise[4]. » Cela ne valait-il pas bien les cent mille livres que cette mission dramatique devait coûter à l’État ?

Au commencement de mars 1793, l’ « apostolat » des Jacobins en Belgique atteignit son plus parfait et entier épanouissement : la superstition, cette terrible ennemie de la Liberté, fut enfin attaquée de front et avec vigueur. Pendant trois jours, les 6, 7 et 8 mars, la cathédrale de Sainte-Gudule fut livrée en proie aux sans-culottes : « ils enfoncèrent les portes, brisèrent les châsses, dispersèrent les ossemens des saints, violèrent les tombes, mirent les troncs à sec, enlevèrent les registres

  1. Ibid., p. 230.
  2. Le Courrier de l’Égalité, journal publié à Bruxelles, 1793.
  3. « Les trois ou quatre fois qu’on a donné des spectacles gratis, la salle n’a été remplie que de militaires français ; pas un habitant du pays n’y a paru… » (Affaires étrangères, Pays-Bas, vol. 184, dépêche de Deshacquets au ministre, 17 mars 1793.)
  4. Cité par F. Masson, Le Département des Affaires étrangères pendant la Révolution, p. 277.