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Déjà la Convention avait pris soin d’envoyer en Belgique des commissaires, des agens nationaux, des commis, toute une foule de gens faméliques qui, en ce riche pays, arrivaient les dents longues, tout prêts à se tailler une large part en cet affriolant gâteau.

L’ingénieuse Montansier ne fut pas une des dernières à se souvenir de ses engagemens envers Dumouriez, et à penser qu’avec l’aide du gouvernement, son théâtre pourrait, d’une façon fructueuse, aller propager à Bruxelles les idées nouvelles et le progrès. Depuis le 21 septembre, la Convention avait proclamé la République, des hommes tout à fait éclairés se trouvaient enfin au pouvoir : ils comprenaient, ceux-là, que le théâtre doit être une des colonnes d’un État bien construit et accordaient, en conséquence, aux directeurs et aux artistes de généreuses subventions.

Déjà, dans sa séance du 25 septembre, le Conseil exécutif provisoire, « considérant que l’art dramatique est un des moyens les plus efficaces pour former les mœurs d’un peuple et qu’un gouvernement libre doit user, pour épurer l’esprit public, des mêmes ressources dont les gouvernemens despotiques se servent pour l’empoisonner, » avait consenti une large subvention aux théâtres de la République et de Molière. La Montansier, sûre donc d’un favorable accueil, n’eut aucune hésitation à prendre la plume pour s’adresser dans l’occurrence au ministre des Affaires étrangères en personne : « Ministre citoyen[1], lui écrivait-elle, les braves héroïnes Fernigh combattent pour la liberté ; moi, je veux tâcher d’en propager les principes et l’amour. Les moyens dont je veux faire usage sont ceux des illusions et de la séduction, et je dois m’en promettre des effets non moins sûrs que de ceux obtenus par nos armées. »

Puis, après avoir, avec justice, vanté l’excellence de sa troupe, exposé la pompe des spectacles patriotiques qu’elle se proposait de monter à Bruxelles, elle ajoutait fort judicieusement : « Les têtes brabançonnes sont encore bien empestées de préjugés. Ce que je fais comme particulier devrait peut-être être pris par des ministres aussi sages que patriotes comme une mesure très essentielle pour propager les grands principes de notre Révolution. J’irais donc à penser que, réussissant, elle aurait acquis des droits aux bienfaits de la patrie, et que, ne réussissant pas, elle en aurait encore à ses encouragemens[2]… »

A cette lettre était joint un « Répertoire provisoire des pièces que

  1. L’appellation était toute nouvelle. Le protocole de la politesse républicaine n’était pas encore tout à fait arrêté.
  2. Archives nationales F1° 11 dossier 7, lettre du 26 nov. 1792.