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Vierge Marie en vers tamouls et on lui a attribué la rédaction de l’Ezour Védam[1].

Il était réservé à un autre membre de sa compagnie, le P. Cœurdoux, missionnaire à Pondichéry, de faire une découverte linguistique d’une bien autre portée. L’abbé Barthélémy, l’helléniste bien connu par son Voyage du jeune Anacharsis, lui avait écrit, en 1767, pour le prier de composer une grammaire et un dictionnaire de la langue sanscrite. En répondant à l’académicien, le Père jésuite lui posait à son tour une question, le priant de la soumettre à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres : « D’où vient, disait-il, que la langue sanskroutane a tant de mots communs avec la langue grecque et surtout avec le latin ? » Et à l’appui, il joignait quatre listes de mots et de flexions grammaticales. Il y avait là une révélation sur la parenté de la langue mère des dialectes hindous avec nos langues de l’Europe. La note du P. Cœurdoux fut lue à l’Académie en 1768 ; mais, comme l’a dit M. Michel Bréal, l’Académie n’avait plus alors de Fréret dans son sein, et, par malheur, la note fut transmise à Anquetil Duperron, qui se méfiait des recherches grammaticales et qui la laissa dormir dans ses cartons ; elle ne fut publiée qu’après sa mort (1808). Entre temps, William Jones avait lu, dans une séance publique de la Société asiatique de Calcutta, son mémoire affirmant la parenté des langues de l’Europe et de l’Inde[2]. Et voilà comment la gloire de cette découverte, capitale pour l’avenir de la science du langage, et faite par un Français, échappa à la France.

C’est un baptiste anglais, W. Carey (en 1834), missionnaire au Bengale, qui a eu le mérite décomposer la première grammaire sanscrite (1806) ; une autre de la langue mahratte (1811) et d’avoir fait la première version de la Bible en bengali (1795-1811). Ces travaux paraîtront d’autant plus extraordinaires, qu’il n’y avait pas été préparé par une éducation classique : la vocation missionnaire s’empara de lui, quand il était cordonnier à Olney. Les missionnaires anglais de la Société de Londres et surtout les Allemands de l’Institut de Bâ e, ont continué ces nobles exemples et enrichi les différens dialectes de l’Hindoustan de traductions de tout ou partie des Saintes Écritures[3].

  1. Mosheim, Histoire ecclésiastique, t. VII, p. 13.
  2. F. Bopp. Grammaire comparée des langues indo-européennes, traduction française. Introduction par Michel Bréal, Paris, 1866, 2 vol.
  3. Quand W. Carey mourut en 1834, les presses de la Mission qu’il dirigeait à Sirampour avaient imprimé l’Écriture Sainte en 40 idiomes hindous différens. Aujourd’hui, par les soins de la Société biblique de Londres, elle est traduite en près de 60 langues différentes.