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c’est-à-dire à cinq chaînes, composées chacune de 250 bobines du même coloris, par chaque « lé » de 70 centimètres de large.

Une imitation de la Savonnerie, le tapis « chenille » ou « haute-laine, » plus moelleux que la moquette, bien que moins solide, est aussi appelé « à palette libre, » parce qu’il permet l’emploi d’un nombre indéfini de nuances. Il y entre jusqu’à 200 tons différens. Son tissage comporte deux opérations successives. Voici d’abord la seconde.

L’ouvrière que nous voyons travailler ici, au lieu de chercher comme en Orient, à chaque point, la couleur de laine qu’il lui faut et de la nouer sur chaque fil de la chaîne, place du même coup, en travers de cette chaîne, toute une ligne de points multicolores, noués sur une ficelle de longueur égale à la largeur du tapis. Un coup de trame du métier mécanique serre cette « chenille » de points, l’unit à la précédente et l’attache en même temps à la chaîne. L’ouvrière prend à ses côtés une autre chenille, non pas au hasard, mais celle qui, d’après un numérotage préalable, doit voisiner sur le tapis avec la dernière posée. La couleur des points varie souvent beaucoup d’une chenille à la suivante ; mais, comme ces points ont été méthodiquement préparés le long de chacune des chenilles, dans l’ordre qu’exige le dessin, il se trouve qu’en juxtaposant ces guirlandes de nœuds, les couleurs de leurs laines se raccordent ou s’opposent brin à brin, les unes aux autres, de manière à former exactement les fleurs, les ornemens ou les sujets du modèle.

Si l’on ne tirait qu’un exemplaire de chaque dessin de tapis et s’il fallait, pour ce tapis unique, confectionner une à une les centaines de chenilles différentes qui le constitueront, en dosant sur chacune les nœuds de laine savamment assortis, la besogne serait bien plus compliquée que pour la Savonnerie véritable, faite à la main. Mais on n’établit pas moins de 200 tapis à la fois et, pour chacun de ces 200 tapis, on façonne sur des machines spéciales, d’abord 200 exemplaires, tous pareils, de la chenille numéro 1, puis un égal nombre de la chenille numéro 2 et ainsi de suite.

La composition des chenilles est donc l’opération préliminaire : attentive au dessin « encarté » qu’elle a sous les yeux, et qu’il lui est facile de décomposer, d’épeler en quelque sorte — chaque point remplissant un carreau de papier quadrillé, — l’ouvrière, assise devant un métier où s’alignent 200 fils de chaîne,