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imaginés par César Corron, qui suppriment trois hommes sur quatre.

Vient le tissage ; un tapis se compose de deux parties essentielles : le canevas ou « âme » qui forme l’envers, le velours ou « moquette » qui forme l’endroit. Le canevas est constitué par deux chaînes et une trame. L’une, la chaîne travaillante, ou de liage, vient croiser les fils de trame ; l’autre, la chaîne volante, sorte de ficelle en jute ou en phormium tenax originaire du Gange, qui fait matelas ou épaisseur. Les tapis aux points noués n’ont pas besoin de ce corps invisible ; la hauteur de la laine leur donne une consistance suffisante. Ici le dessin est figuré à la surface par une troisième chaîne de laine, seule apparente, que le métier incorpore aux deux autres, tout en lui laissant le dessus de l’étoffe.

A mesure que le tissage avance, vingt et une verges ou tiges d’acier, alternant avec les trames, viennent l’une après l’autre se placer en travers de cette chaîne, la forcent à s’arrondir en boucles, puis se retirent et vont d’elles-mêmes, au moyen d’un aiguillage semblable à celui d’un chemin de fer, se replacer plus loin pour modeler une boucle nouvelle. C’est la moquette « bouclée ; » lorsqu’on la veut obtenir « veloutée, » les tiges d’acier dont nous parlons se terminent à l’une de leurs extrémités par un couteau, qui coupe la boucle en se retirant et la métamorphose en velours.

Avant l’invention de Jacquard, il fallait, à chaque coup de trame, — pour les métiers à tapis comme pour tous les autres tissus, — se préoccuper de mettre en œuvre, pour la plus insignifiante fleurette, suivant que les couleurs du dessin le requéraient, tels ou tels fils de la chaîne. Il fallait au tisserand trois aides pour manipuler les tiges d’acier, appeler les couleurs, et tirer les lices de chaque bobine. A eux quatre, ils allaient fort lentement. Aujourd’hui les fils sont forcés d’entrer en scène et de jouer leur rôle, au moment et en nombre voulus, parce que les « lices » qui les portent reçoivent, par un mouvement de déchiquetage, l’impulsion d’autant d’aiguilles. Les pointes de ces aiguilles sont frôlées par des cartons, percés de trous, qui tournent sur un cylindre. Rencontrent-elles les trous, elles y entrent et appellent ainsi les fils au travail. Sont-elles arrêtées par une partie pleine, elles restent immobiles. C’est un peu suivant le même principe que les opéras se laissent moudre par les orgues de Barbarie.