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Dans l’intervalle, le débit de cet article avait tout à fait cessé. La maison que nous venons de citer, dont il avait fait la fortune, eut beaucoup de mal à solder, vers 1892, pour le prix uniforme de 40 francs, 200 châles qui lui restaient, à un marchand américain. Celui-ci parvint, à force de réclame, à écouler avec un léger profit, parmi les négresses et los cuisinières du Nouveau Monde, ces précieux cachemires, recherchés par les grandes dames du vieux continent alors qu’ils coûtaient mille francs et davantage. M. Dalsème, utilisant les relations que sa clientèle étendue lui avait values à l’étranger, eut alors l’idée de faire venir des tapis d’Orient, pendant que son ancienne rivale dans le trafic des châles, — la « Compagnie des Indes, » — se rejetait sur les dentelles. Il débuta par les spécimens rouges, bleus et verts de Smyrne, rechercha ensuite les vieux tapis que lui fournirent ou lui prêtèrent gracieusement des voyageurs, collectionna des modèles dans les livres et, muni de ces documens, imagina de ressusciter, parmi les types oubliés, ceux qui se prêtaient à la reproduction en qualité marchande. Tous les dessins, en effet, ne sont pas pratiquement susceptibles de copie. Tel chef-d’œuvre, comme celui de la mosquée d’Ardébil, payé 62 500 francs par le musée de Kensington, à Londres, ou comme ceux que possèdent notre musée des Arts décoratifs ou notre manufacture des Gobelins, exécutés en points gros comme des têtes d’épingles, ne se font plus, parce qu’imités en points gros comme des lentilles, ils ressembleraient à des caricatures.

Le succès de cette tentative fut très rapide. Elle provoqua de nombreuses et actives concurrences, dont le résultat fut d’industrialiser » terriblement une tâche presque artistique naguère. Le baboo, marchand indien, passa des contrats avec les habitans d’Hyderabad, dans le Nizam, et de Mazulipatam, dans la présidence de Madras, pour des sortes grossières, mais à bon marché. Le gouvernement anglais imagina d’employer les condamnés, dans les prisons de l’Hindoustan, à la réédition des merveilles qui jadis s’étaient créées dans les palais sous la surveillance des rajahs. Essai fructueux au point de vue économique, désastreux comme résultat esthétique ! Les pauvres tisserands libres, incapables de soutenir la lutte, se dégoûtèrent.

La Perse aussi, pour répondre à la demande énorme de tapis, s’attache uniquement à ce qui, dans les divers pays, est de