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« bonnes et loyales teintures » et des « fausses et défendues. » Parmi les premières, le « pastel » était une des plus recommandées ; l’indigo, au contraire, était honni, proscrit ; et, comme les prohibitions légales ne suffisaient pas, semble-t-il, à arrêter l’essor de cet « anil » ou « bois d’Inde, » des pénalités draconiennes furent organisées contre les introducteurs ou « receleurs. » N’empêche que l’indigo détrôna cet antique pastel dont la France avait longtemps pourvu l’Europe, dont le trafic était un des plus notables du Midi, — un marchand de pastel avait, sur la demande de Charles-Quint, cautionné la rançon de François Ier, — et à qui l’on réservait toujours, en temps de guerre, un traitement de faveur. Sous Napoléon Ier, grâce au blocus continental, le pastel revit quelques beaux jours, puis disparut à nouveau.

En attendant que les nouveaux colorans aient fait leurs preuves, les chimistes des Gobelins, qui fournissent aussi les ateliers de Beauvais, n’emploient que quatre substances végétales ou animales : les rouges de garance ou de cochenille, le jaune de gaude et le bleu d’indigo, isolés ou mélangés, y sont les bases exclusives de toutes les nuances. L’emploi de ces matières n’a rien d’immuable ni de sacramentel. Les luttes que je viens de rappeler, entre le pastel et l’indigo, ne sont pas les seules qu’il y ait eu dans le passé : la cochenille, cet insecte exotique, ne fut admise à faire concurrence à la racine de garance qu’après des polémiques passionnées ; quant au fustet et à la gaude, ces bois du Brésil et de Cuba dont on tire le jaune, ils sont d’une introduction assez moderne.

Il ne faut pas avoir la superstition des couleurs végétales et rien ne prouve qu’à celles d’aujourd’hui des matières minérales ne se substitueront pas un jour. L’alizarine est aussi solide que la garance, et de grandes maisons de tapisseries usent avec succès, pour le jaune « mandarin, » des dérivés de la houille, parce que les jaunes végétaux, même aux Gobelins, n’ont jamais été très bons.

Les découvertes de la chimie ont, depuis vingt ans, transformé l’industrie tinctoriale. L’Allemagne possède des usines, dont une seule au capital de 20 millions de francs, — la Radish und Anilin Soda Fabrik de Lucius et Brüning, fondée en 1865 avec 30 ouvriers, — occupe aujourd’hui 7 000 ouvriers. Elle produit par synthèse un indigo artificiel à base de