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sur la demande du gouvernement de l’île de Malte, à qui ce travail coûtera environ 175 000 francs.

Mais, quelque parfaite qu’elle puisse être, une réparation, pour l’œil exercé, sera toujours visible : il y faut de toute nécessité employer des couleurs qui, bien qu’un peu plus « montées, » s’assortissent néanmoins à l’état présent de leurs voisines ; or, ces laines, nouvellement mises en œuvre, « baisseront » avec le temps. Tant que les tapisseries furent les seuls objets d’art qu’il n’y eût pas d’intérêt à singer par économie, les supercheries des vendeurs consistaient simplement à pallier assez les outrages des ans pour rendre présentables des avariées, des infirmes ou des mutilées. Depuis que le prix des belles d’autan est beaucoup plus haut que celui des belles d’aujourd’hui, le neuf trouve profit à passer pour vieux, et y réussit parfois grâce à l’imitation aisée des marques authentiques, quand l’acheteur, séduit par les coloris rompus et passés de la tenture, à l’ « endroit, » n’a pas la précaution de s’assurer que l’ « envers, » protégé par l’obscurité, conserve la crudité excessive des tons que les Gobelins ou les Beauvais d’il y a deux siècles avaient sur la face. Ces jeunes tapisseries, nées avec le masque de la vieillesse, privées de tous les tons francs et durables, deviendront avant peu complètement incolores.

Mais, bien que le goût, la mode si l’on veut, de ce noble tissu semble aussi grande qu’elle ait jamais été, il ne s’en fabrique pas plus, en France, aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, et il ne s’en fait à peu près nulle part en Europe. Deux manufactures nationales, les Gobelins et Beauvais, entretiennent ensemble une cinquantaine d’ouvriers artistes et une vingtaine d’apprentis, travaillant uniquement pour l’Etat et les corps officiels ; — trois tapisseries seulement ont été vendues, depuis dix ans, à des particuliers par les Gobelins.

Le département de la Creuse, qui nous envoie des maçons par milliers, conserve, à Aubusson 500, à Felletin 200 tapissiers de basse lice ; exactement le même chiffre que sous Louis XV, au dire de l’inspecteur de 1743. Seulement leur situation a singulièrement changé. Les plus capables sont des espèces d’entrepreneurs, que les grands fabricans se disputent et s’attachent par des traités avantageux. L’un d’eux, travaillant avec son fils pour la maison Bracquenié, a pu gagner tout récemment 8 500 francs dans son année. L’ouvrage s’exécute en famille, bien qu’on