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Après avoir franchi la frontière belge, le prince se rendit, non pas en Italie où semblait l’appeler son devoir filial, mais en Angleterre où il retrouva des amis dévoués. Le 20 août 1846, il écrit de Bath à son vieil ami :


« Je me reproche vivement de ne vous avoir pas encore écrit depuis les événemens qui me sont arrivés, car je sais tout l’intérêt que vous prenez à mes joies comme à mes douleurs. Mais j’ai été, pendant les derniers deux mois, si incertain de mon sort, si occupé et préoccupé, que j’ai toujours remis au lendemain le plaisir de vous écrire.

La perte cruelle que je viens de faire[1] m’a vivement affecté, comme vous le jugez bien, et votre lettre m’a fait grand bien ; car, lorsqu’on est malheureux, la sympathie d’un ami tel que vous est un baume salutaire. Je m’attendais, hélas ! depuis longtemps à la mort de mon père, mais j’espérais que le gouvernement français ne pousserait pas l’inhumanité et la rancune jusqu’à m’empêcher d’aller fermer les yeux de mon père. Il faut dire, à la louange des Anglais et de leur gouvernement, qu’ils ont fait pour moi tout ce qu’ils ont pu et qu’ils ont fortement désapprouvé la conduite de leurs alliés.

Je suis venu aux eaux de Bath, me remettre un peu des rhumatismes que j’ai attrapés à Ham. C’est un bel endroit, mais horriblement triste.

Maintenant que je suis fixé en Angleterre, j’espère que, l’été prochain, si vos affaires vous le permettent, vous ferez peut-être un petit voyage jusqu’ici. J’aurai, je pense, alors un chez moi, et je serai bien heureux de vous offrir l’hospitalité.

Le premier livre de mon grand ouvrage a enfin paru ; il vous parviendra bientôt.

J’oubliais de vous dire que, pendant mon séjour à Ham, on est venu m’offrir de me mettre à la tête d’une compagnie pour le percement de l’isthme de Nicaragua (Amérique centrale), ayant pour but la réunion des deux océans. Je n’ai pas refusé la proposition et j’ai écrit une brochure[2] sur ce sujet, qui va paraître en anglais et que je vous enverrai. La brochure ne sera pas livrée au public, mais distribuée par moi âmes connaissances.

  1. Le roi Louis était mort à Livourne le 25 juillet 1846.
  2. Cette publication fut faite à Londres, chez Mills ; voici la traduction du titre : Projet touchant le canal de Nicaragua en vue de relier l’Océan Atlantique et la Mer Pacifique.