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Nous voulons parler de la tentative de Strasbourg. On sait comment elle échoua et dans quelles circonstances le prince fut embarqué pour l’Amérique. Le 16 mai 1837, il adresse à Dufour une longue lettre où il lui fait part de ses impressions :


« J’ai tardé quelque temps à vous répondre ; mais je ne veux pas remettre à une époque plus éloignée le plaisir de m’entretenir avec un ami. J’ai eu des momens bien cruels à passer ; mais aussi j’ai trouvé bien des compensations, en apprenant, à mon arrivée ici, l’acquittement de mes amis et en recevant des marques non équivoques de dévouement et d’intérêt. Votre lettre m’a fait tant de bien ! Quand on est malheureux, on sent doublement le prix de l’amitié. J’ai bien souvent pensé à, vous ; j’ai bien souvent pensé que vous partagiez tous mes tourmens, tous mes chagrins, que votre bienveillante inquiétude me suivait partout.

Je vous assure que, sans être superstitieux, je crois cependant à une certaine fatalité, quand je pense que j’avais dans les mains tant de chances de réussite, que j’avais fait des plans dont maintenant je sens encore plus toute la rectitude et que nous avons tous été nous jeter dans un affreux casse-cou !… Si j’éprouve bien des regrets, je n’ai aucun repentir, et, si je me trouvais dans les mêmes circonstances, j’agirais comme je l’ai fait ; seulement, je me défierais un peu plus de l’entraînement général.

Vous verrez, dans la brochure que je vous enverrai, tous les détails exacts de mon transfèrement de Strasbourg au Port-Louis. J’ai toujours eu affaire à des personnes qui ont eu pour moi tous les égards et tous les soins possibles. En prison, il y a eu des soldats qui, en faction à ma porte, nie disaient qu’ils étaient pour moi ; des sous-officiers me faisaient des signes d’intelligence quand j’étais à la fenêtre ; enfin, tout a concouru à me faire croire que, si les mesures eussent été mieux prises, j’aurais entièrement réussi. »


La lettre se poursuit par une description du long voyage qu’il vient de faire, et il entre dans des détails qui ne manquent pas de pittoresque.


« Je suis resté, dit-il, quatre mois et vingt jours sur la frégate l’Andromède. Nous sommes partis, le 21 novembre 1836, de Lorient. Pendant dix-sept jours, nous avons eu une tempête continuelle ; les haches étaient sur le pont pour couper les mâts dans