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crois que j’ai rêvé et que tout ce qui s’est passé n’est qu’un songe. Hélas ! je voudrais bien pouvoir me le persuader !

J’éprouverais un grand plaisir à vous voir. Maman aussi en serait charmée. Ainsi, si vos occupations vous le permettent, venez trouver quelqu’un qui vous aime tendrement et qui attache un grand prix à votre amitié. Si vous ne pouvez pas venir, j’irai vous faire une petite visite à Genève, quand je serai entièrement rétabli.

J’ai appris hier la prise de Varsovie ; vous pouvez vous imaginer l’impression que m’a faite cette nouvelle. Que les souverains qui ont vu cette lutte admirable, sans chercher à sauver la victime des mains du bourreau, en soient récompensés par la haine et le mépris du genre humain ! J’espère qu’ils éprouveront un jour, ces êtres sans cœur, ce qu’il en coûte à ceux qui n’embrassent pas la cause de l’humanité, la cause de la civilisation européenne, la cause nationale des peuples qu’ils régissent. Le règne de Louis-Philippe aura été plus méprisable que celui de Louis XV, plus fatal à la liberté que celui de Charles X !

Mais je ne veux pas donner libre cours à mes sentimens blessés ; je suis sûr que vous pensez comme moi, et j’attends que nous nous retrouvions pour pouvoir politiquer à mon aise avec un ami. »


Un an plus tard, nous trouvons le prince plongé dans des travaux militaires. La lecture du Mémorial lui inspire tout un plan de défense pour la France, et il voudrait avoir sur ce point l’avis du colonel Dufour. Il lui écrit d’Arenenberg, le 6 septembre 1832 :


« Depuis que je suis revenu ici, j’ai réfléchi au projet de travail dont je vous avais parlé, et j’ai trouvé dans le Mémorial de Sainte-Hélène un passage qui m’a suggéré beaucoup d’idées. Dans le septième volume, page 63, l’Empereur dit, à propos d’Anvers, qu’il voudrait la rendre capable de recueillir une armée entière dans sa défaite et de résister à une année de tranchée ouverte, pendant laquelle une nation aurait le temps, dit-il, de venir en masse la délivrer et reprendre l’offensive. Cinq ou six places de la sorte étaient d’ailleurs le nouveau système de défense qu’il avait le projet d’établir à l’avenir.

Voici le plan que je voudrais développer. C’est une tâche assez difficile ; aussi aurai-je souvent recours à vos bontés et à vos conseils. Je pense énumérer d’abord les avantages d’avoir