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napoléonien, contre les attaques des Anglais. Bientôt nommé capitaine, il prit en main la direction des travaux et les fit avancer rapidement. Au bout de trois ans, la chute de Napoléon le ramène en France. Il fut un des derniers à vouloir quitter son poste et insista auprès du gouverneur de l’île pour que le drapeau impérial fût maintenu le plus longtemps possible, « jusqu’au moment, dit-il, où un brick, portant à l’arrière le pavillon blanc, nous apporta l’ordre attendu, avec celui de remettre aux Anglais les forts, le matériel et les subsistances. » Une flotte française arriva pour prendre la garnison et la ramener en France. Là, il entra dans le 3e régiment du génie. Vers la fin de 1814, il obtint un congé de semestre qu’il alla passer à Genève. Il y séjournait encore lorsque arriva la nouvelle du retour de Napoléon. Dufour, rentré au service, fut envoyé à Lyon, où on le chargea d’exécuter, entre le Rhône et la Saône, d’importans travaux de fortification. Il s’acquitta de cette tâche d’une manière si satisfaisante que ses chefs demandèrent pour lui le grade de commandant. Mais les événemens empêchèrent sa nomination. Après Waterloo, Dufour fut de ceux qui se retirèrent derrière la Loire pour continuer la lutte. Aussi, lors de l’épuration de l’armée qui suivit le second retour des Bourbons, au lieu d’obtenir de l’avancement, fut-il mis en disponibilité et réduit à la demi-solde. On le plaça dans la quatorzième et dernière catégorie, celle des bonapartistes incorrigibles ! Il perdit encore une somme d’environ trois mille francs qui lui était due. Tout ce qui se passait en France n’était pas fait pour l’y retenir. Se séparant à regret de ses camarades, il se hâta d’aller revoir sa ville bien-aimée, sa chère Genève.

Huit années passées sous les drapeaux de l’Empereur avaient allumé dans le cœur de Dufour un culte pour Napoléon qui ne s’est jamais démenti. Mais, ne voulant point servir le nouveau régime, il renonça à la nationalité française, pour se consacrer tout entier au service de sa patrie. En dépit des préjugés anti-bonapartistes, qui étaient alors très vifs autour de lui, il fut nommé professeur de mathématiques à l’Académie, chef du génie cantonal, ingénieur civil du canton, et enfin lieutenant-colonel des milices genevoises. Voyant son avenir assuré, Dufour se maria et se fixa pour toujours à Genève. On l’employa à la délimitation des frontières avec la France ; puis il s’occupa de la carte locale, du cadastre et de divers travaux publics. En 1819, il créa l’école militaire de Thoune, dans laquelle il remplit d’abord les fonctions d’instructeur en chef du génie et de l’état-major, puis de commandant à partir de 1831. En 1827, il avait atteint le grade de colonel, le plus élevé de l’armée suisse en temps de paix. Le gouvernement helvétique avait trouvé le chef capable d’organiser les forces militaires de la Confédération, et il sut en tirer parti.

En 1833, Dufour commence la carte topographique de la Suisse, ouvrage magistral qui ne tarda pas à assurer à son auteur une