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Ainsi le petit Mozart, dès le berceau, — et bien avant que les opéras français et les préfaces de Gluck eussent donné à ce principe la publicité que l’on sait, — fut instruit à considérer toute « passion, » ou plutôt toute nuance des sentimens humains, comme pouvant être traduite par une « mélodie correspondante. » C’était alors, plus que jamais peut-être, l’opinion commune. Et l’on entend assez que le mot « mélodie » désignait ici, outre les lignes des chants, l’ensemble tout entier de leur mise en valeur. Il n’y avait pas, en effet, un seul des élémens de la composition musicale, depuis les rythmes et les tonalités jusqu’aux timbres, jusqu’aux diverses espèces de cadences et de trilles, qui, pour les musiciens, n’eût une signification et un rôle propres. Tel ton, telle modulation, tel instrument de l’orchestre, étaient réservés à l’expression de tel ou tel sentiment : si bien que, la plus grande part de ce vocabulaire expressif s’étant aujourd’hui perdue, la musique du XVIIIe siècle nous est à peu près aussi difficile à comprendre que ces fresques des vieux maîtres florentins ou siennois où nous ne percevons plus que des restes de couleur, et de vagues contours à demi effacés. Mozart, lui, a pu connaître ce vocabulaire dans toute sa richesse ; et, toute sa vie, il a continué à en faire usage, sauf à y introduire sans cesse nombre de changemens et d’améliorations. Il en a fait, en vérité, un usage plus libre et moins apparent que celui qu’en a fait l’auteur d’Iphigénie en Tauride, et avec une autre manière de concevoir l’objet et la portée de l’expression musicale, et toujours en poète, c’est-à-dire en homme qui, d’instinct, modifie tout ensemble les sentimens et leurs signes, pour les revêtir d’une beauté supérieure. Mais, toute sa vie, il a continué à penser que l’unique fin de son art était de traduire les nuances des « passions. » Toute sa vie il s’est préoccupé, avant tout, de ressentir profondément les émotions qu’il voulait exprimer, de même qu’un peintre s’inquiète avant tout de bien voir la figure ou le site qu’il veut peindre ; toute sa vie, il a regardé la musique comme un langage, et disposant de signes dont chacun répondait à un sens précis, de même que les mots dans le langage des écrivains, ou que les couleurs dans celui des peintres. Et, certainement, c’étaient là des vérités esthétiques que son génie de musicien aurait bientôt suffi à lui révéler : mais le mérite et l’honneur de les lui avoir apprises n’en reviennent pas moins à Léopold Mozart.