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cœurs qu’en traduisant des émotions que, d’abord, il éprouve lui-même. » Ou encore : « En quoi consiste une bonne exécution ? Uniquement dans l’aptitude à faire ressentir, par ceux qui l’écoutent, la vraie signification émotionnelle d’une idée musicale. » Et, plus tard, dans une Esquisse autobiographique de 1773, il allait trouver la saisissante formule que voici, pour résumer la réforme artistique dont il avait été à la fois le théoricien et l’initiateur : « Ma préoccupation dominante a été de rendre le jeu du clavecin aussi chantant que possible (sangbar zu spielen), et d’écrire une musique qui permît cela. »

D’écrire une musique où tout pût chanter, d’animer d’émotion et de poésie non seulement les idées principales, mais jusqu’aux modulations, aux passages, jusqu’aux figures même de l’accompagnement, de créer enfin cette véritable « mélodie infinie » dont, plus encore que les drames de Wagner, les dernières œuvres de Mozart nous offrent l’exemple, c’était un art trop difficile pour qu’on eût à l’attendre du compositeur du Minuetto pastorello : il faut bien reconnaître que l’expression est à peine moins absente que la beauté, dans toute la pauvre musique qu’il nous a laissée. Mais, impuissant à la produire lui-même, il savait cependant en apprécier la nécessité. A ses yeux comme à ceux de Ph.-Em. Bach, la recherche de l’expression était le premier devoir de tout musicien. Sans cesse, d’un bout à l’autre de son Ecole du violon, il conseillait aux jeunes violonistes de se préoccuper, par-dessus tout, de la « signification émotionnelle » du morceau qu’ils avaient à jouer. « Ayez bien soin, leur disait-il, de chercher d’abord le sentiment qui a inspiré l’auteur du morceau, ne serait-ce que pour en déduire le rythme de votre jeu ! Ce rythme, le caractère intime du morceau pourra, seul, vous le faire deviner. Je n’ignore pas qu’on trouve, en tête des morceaux, des indications de mouvement, comme Allegro, Adagio, etc. : mais tous ces mouvemens ont leurs degrés, qu’aucune formule ne pourrait vous indiquer… Et il y a, dans toute pièce mélodique, au moins un endroit où l’on reconnaît à coup sûr de quelle nature sont les sentimens que l’auteur a voulu traduire. A vous de le découvrir… et ensuite de vous pénétrer vous-mêmes de ces sentimens… Mais encore est-ce à la condition que le compositeur, de son côté, soit un homme de sens, et qui réussisse à choisir, pour chaque passion, des mélodies qui y correspondent. »