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étudié complètement un seul ? » Ces deux citations suffisent à indiquer l’esprit du livre tout entier : un enseignement toujours prudent, sévère, ordonné, le mieux fait du monde pour affermir et diriger un jeune talent.

Encore n’était-ce pas seulement les débutans que Léopold Mozart mettait en garde contre le vain et funeste désir de briller : il condamnait ce désir chez les artistes même les plus habiles, impitoyable à railler les virtuoses de leurs retards, de leurs trémolos, de leurs cadences, de vingt autres « effets » obtenus au détriment de la mesure et de l’expression. Il allait jusqu’à soutenir, — et vraiment avec beaucoup de verve, — la supériorité du violoniste d’orchestre sur le joueur de soli. « Ceux-là se trompent fort, ajoutait-il, qui croient que les bons violonistes d’orchestre se rencontrent davantage que les bons solistes. Et, si l’on veut savoir ce que c’est qu’un orchestre composé de brillans solistes, qu’on le demande à ceux de messieurs les compositeurs qui, pour leur malheur, ont eu à faire exécuter leurs ouvrages dans ces conditions ! »

Un bon musicien, d’après Léopold Mozart, devait être avant tout un bon chrétien et un honnête homme : et il devait être aussi un bon humaniste, autant du moins que c’était nécessaire pour qu’il pût sentir et comprendre les lois d’une beauté patiemment élaborée par la suite des âges. « Ce que savent le grammairien et le rhétoricien, écrivait-il dans sa méthode, un violoniste doit aussi le savoir, mais surtout un compositeur, faute de quoi il risque de rester toujours la cinquième roue d’un carrosse. Un grand génie naturel peut, en vérité, suppléer sur bien des points au manque de science : mais que penser d’un homme qui est incapable d’écrire correctement six mots dans sa langue maternelle, et qui, malgré cela, entend qu’on le tienne pour un savant compositeur ? » Si bien que, en même temps qu’il donnait à son fils la solide éducation morale et religieuse dont parle Schachtner, il mettait tous ses soins à lui former l’esprit. Il lui enseignait les mathématiques, fondement de la science musicale, la grammaire et la littérature allemandes, et, déjà, des notions élémentaires de latin et d’italien : car il considérait la première de ces deux langues comme une condition indispensable de toute sérieuse culture intellectuelle, tandis que l’autre, au temps où il vivait, devenait de plus en plus la grande langue musicale de toute l’Europe. Et l’enfant se résignait docilement à ces études