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Théophile. On lui donna encore, suivant la coutume, le nom du patron de son jour de naissance, Jean-Chrysostome. Et j’imagine que ce fut la mère qui voulut que, en outre, son fils reçût le prénom de Wolfgang, en souvenir du saint abbé que, dans son enfance, elle était souvent allée prier devant le retable de Michel Pacher, sur l’autre rive du beau lac où elle était née. Wolfgang, toujours désormais les parens allaient appeler leur enfant de ce prénom, le seul qu’ils lui avaient eux-mêmes choisi.

Jean-Chrysostome-Wolfgang-Théophile (ou Gottlieb, ou encore plus tard, à l’italienne, Amadeo) Mozart fut ensuite ramené dans sa chambre natale, auprès du lit de sa mère, qui, épuisée, malade, en grand danger de mort, avait pourtant tenu à le nourrir elle-même. Je le vois là, couché presque au ras du sol dans son berceau, une petite auge de bois avec quatre longues cornes. Je le vois qui sourit aux anges, ses yeux bleus ouverts, trop grands ouverts, parmi les rides d’un petit visage rond, pâle comme la cire. Et si doux, si tranquille, et, mon Dieu ! si frêle ! Un oiseau chante, dans une cage, au bord de la fenêtre ; peut-être un bouvreuil, ou un pinson, ou un canari : il n’y a pas dans toute la ville un seul logement où ne chante un oiseau. Et parfois la mère, elle aussi, essaie de chanter. Elle sait toute sorte de chansons plus jolies l’une que l’autre, des berceuses et des romances, surtout des couplets comiques en patois, avec des refrains si vifs, si légers, que c’est comme si toute la chambre en devenait plus claire. Ou bien c’est monsieur le maître de concert qui daigne un instant s’interrompre de ses graves travaux (il corrige les dernières épreuves de son École du violon) pour venir amuser l’héritier de son nom. Il le prend dans ses bras, le conduit à la fenêtre, lui fait voir, au loin, la grosse tour neuve de l’église de l’Université, avec ses aiguilles d’or sur son cadran bleu. « Ah ! lui dit-il (car il aime les beaux discours), puisses-tu ne pas manquer ta vie, comme ton père ! Puisses-tu devenir un homme utile à la chose publique, un magistrat, un médecin, un professeur, honor et decus reipublicæ ! » Après quoi, il s’en retourne aux épreuves de son livre : et la mère regarde tendrement le petit visage ridé qui repose, au pied de son lit. « Ah ! murmure-t-elle, si seulement, à défaut de ces dons magnifiques, — que c’est peut-être péché à de pauvres gens de notre espèce de souhaiter pour leur fils, — si seulement tu pouvais un jour devenir, comme ton père, un grand musicien ! »