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devenait plus coulant et plus mélodieux, s’imprégnait d’un charme indéfinissable de claire poésie. C’était absolument l’aventure qui venait d’arriver au maître de chapelle souabe Jean-Ernest Eberlin, en attendant qu’elle arrivât, quelques années plus tard, à un homme d’une valeur et d’une importance bien supérieures encore : Michel Haydn, le frère cadet de l’auteur des Saisons. Les quelques compositions de ces deux maîtres salzbourgeois qui nous sont aujourd’hui connues nous offrent un exemple nouveau de l’étrange influence exercée par les traditions et le goût séculaires de Salzbourg sur le tempérament artistique de ses habitans. Qu’on lise, par exemple, dans le second cahier du recueil Alte Klaviermusik, publié par M. Ferdinand Roitzsch (chez Peters à Leipzig), les Prélude et Fugue en mi mineur de J. -E. Eberlin[1] : toute la disposition extérieure reste encore celle du vieux Bach ; et pourtant comme la pensée apparaît plus frôle ! l’expression plus tendre ! comme les sujets et leur contrepoint ont à la fois un caractère plus superficiel et une allure plus chantante ! Ou bien que l’on compare les lieds, les litanies, le Quintette à cordes en ut majeur de Michel Haydn, avec les œuvres équivalentes de son frère Joseph, né au même village, instruit à la même école : autant Joseph est toujours serré, minutieux, épris de fines nuances spirituelles ou pathétiques, autant, chez son frère, la mélodie jaillit et s’écoule librement, une mélodie souvent peu profonde, sans doute, mais si pure, mais si fraîche, mais presque toujours si belle dans sa simplicité !

Et une aventure semblable n’aurait pas manqué d’arriver aussi au « compositeur de cour » Léopold Mozart, si cet homme excellent avait possédé ne fût-ce que l’ombre d’un don naturel pour l’art dont il avait fait l’occupation de sa vie. Mais jamais âme de musicien ne fut plus irrémédiablement stérile que celle-là. Ni l’étude, ni la pratique, ni l’expansion d’un cœur tendre et pieux, rien n’était parvenu à détremper l’aridité foncière de cette âme, pour en faire sourdre le plus mince filet de création musicale. Je ne crois pas que, dans toute l’œuvre de Léopold Mozart, — et elle est

  1. Je me suis efforcé, autant que possible, de ne citer que des œuvres qui se trouvent aujourd’hui à la portée du lecteur. La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Pierre, à Salzbourg, est très riche en compositions manuscrites d’Eberlin. Quant à Michel Haydn, j’aurai plus tard l’occasion d’insister davantage sur l’œuvre de ce grand homme, le véritable maître de Wolfgang Mozart.