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Nuremberg, à Augsbourg, à Würzbourg, à Cologne, et un Veit Stoss, un Riemenschneider, sans parler d’un Dürer, sont assurément des maîtres dont elle fait bien de s’enorgueillir. Mais qui, donc parmi ces maîtres a su, comme le paysan tyrolien, mettre dans l’expression de son rêve un mélange harmonieux d’élégance et de simplicité ? Qui d’entre eux a su, comme lui, agencer en vue d’un effet d’ensemble jusqu’aux moindres détails de ses formes et de ses mouvemens, sans jamais leur rien ôter de leur vivant réalisme ? Non, quelque riche et varié que fût l’ancien génie de l’Allemagne, il n’aurait pas suffi à produire le peintre-sculpteur de Bruneck si celui-ci n’avait pas en outre respiré, de naissance, une atmosphère artistique privilégiée, où toujours à l’émotion allemande quelque chose était venu se joindre de la beauté italienne. C’est de l’art tyrolien, c’est de l’art de Salzbourg, qu’est sortie l’œuvre artistique de Michel Pacher, si haut qu’elle nous apparaisse maintenant au-dessus de lui. Et, aussi bien, est-ce pour Salzbourg même que cet homme admirable a sculpté un de ses chefs-d’œuvre : la Vierge de bois peint qui, depuis plus de quatre cents ans, trône sur le maître-autel de l’église Notre-Dame. Chaque siècle, en témoignage de sa pieuse affection pour elle, l’a revêtue, tour à tour, d’ornemens nouveaux[1] : mais elle, la blonde jeune mère, toujours elle sourit à son enfant d’un sourire merveilleux, légère, délicate, toute parfumée de douceur céleste, émouvante et belle comme un chant de Mozart.

Cependant l’œuvre de Pacher n’avait été qu’une exception, dans l’histoire de l’art de Salzbourg ; et celui-ci, après elle, était vite retombé à son aimable médiocrité ordinaire. De plus en plus, même, ainsi que je l’ai dit, les Salzbourgeois s’étaient accoutumés à ne pratiquer en personne d’autre art que la musique, confiant la décoration de leur ville à des artistes étrangers, allemands ou italiens, à qui ils imposaient seulement, et avec un succès dont on ne peut trop s’étonner, leur goût particulier de mesure et de gentillesse. Vers le milieu du XVIIIe siècle, il n’y avait pas jusqu’à leurs musiciens qui ne fussent, pour la plupart, d’origine étrangère. Mais eux aussi, ces musiciens, à peine avaient-ils pris pied dans la ville enchantée, au sortir de leur Saxe ou de leur Calabre, qu’aussitôt leur style changeait,

  1. L’enfant qu’elle tient sur ses genoux, notamment, ne date que d’une trentaine d’années, et celui qu’il a remplacé datait, lui-même, du XVIIIe siècle.