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peu, ou qui ne possède rien, renoncer aux savans calculs de la mathématique électorale, on cherchera, en tâtonnant, d’un autre côté. John Stuart Mill, à la suite de Thomas Hare, cherchera du côté de la représentation proportionnelle, demeuré en cela, comme aux jours de sa jeunesse, utilitaire et benthamiste, et demandant à la plus juste représentation du plus grand nombre le secret d’assurer « le plus grand bonheur du plus grand nombre. » Disraeli, de qui l’imagination fut géniale et comme traversée par des visions, affirmera que la nouvelle forme du suffrage doit être la représentation non du nombre, mais des forces sociales ; pour rendre fidèlement l’image du pays, il préconisera non l’unité, mais, au contraire, la variété des qualifications électorales ; et peut-être sera-ce encore garder quelque chose de la représentation de classe, ou laisser la classe à la base de la représentation, mais avec cette différence, qui change tout, que toutes les classes seraient représentées et représenteraient, au lieu d’une seule se représentant elle-même et les représentant toutes[1] ; ce qui serait une façon de rendre à la représentation politique, en son origine et en sa fin, son caractère éminemment social.

Voici, dès cet instant, dans la société, des cloisons, moins étanches, plus pénétrables ; dans l’État, voici des cadres moins rigides, plus souples. Voici moins de stabilité sociale et politique, plus de mobilité ; moins d’autorité, plus d’égalité ; moins d’aristocratie, plus de démocratie. Voici, en somme, une société nouvelle, un nouvel État, un nouveau mode de suffrage. Tout cela peut-il manquer d’entraîner un nouveau mode du régime parlementaire, et, dans ce régime, une nouvelle formation des partis ? Ne seront-ils pas, eux aussi, plus mobiles, plus souples, plus pénétrables, plus faciles par conséquent à composer et à décomposer ? La classe représentée et représentative ne les produisant plus spontanément, organiquement, ne faudra-t-il pas les tirer de la masse indistincte du peuple ? et comment les en extraire, si ce n’est mécaniquement ?

Lorsque l’État sera décidément fondé sur le suffrage universel, rien ne se fera plus, rien ne pourra plus se faire comme dans le régime parlementaire d’autrefois, selon les anciens rites, d’après les anciennes méthodes, et par les anciens procédés.

  1. Voyez le tout récent ouvrage (il a paru ces jours derniers) de M. Walter Sichel, Disraeli. À Study in personality and ideas, 1 vol. in-8o, Methuen, 1904. Le chapitre II, Democracy and Representation, est particulièrement intéressant.