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de l’ancienne foi sociale, ne voyait dans les changemens constitutionnels qu’un misérable expédient, et n’attendait de salut que du rétablissement d’un leadership social fondé sur la conscience du devoir chez les conducteurs et chez ceux qu’ils conduisaient[1]. » Mais, justement, de moins en moins la fonction électorale chez les uns et la fonction parlementaire chez les autres apparaîtraient comme un devoir public. Chacun ne penserait qu’à soi, chacun dessécherait et flétrirait son cœur dans l’égoïsme, chacun voudrait vivre pour son intérêt, et tous périraient, et tout périrait, par la lutte âpre et sans merci des intérêts.

C’était la même plainte et la même crainte qu’exprimait Disraeli, dans son fameux discours du 12 juillet 1839, à propos-de la pétition chartiste, quand il s’écriait :

« L’ancienne constitution investissait une petite partie de la nation de droits politiques, mais à condition que cette classe sauvegardât les droits civils des masses. Ce n’était pas seulement pour elle un point d’honneur. La société était ainsi constituée qu’elle était forcée de s’acquitter des devoirs qu’on lui avait imposés : de grands devoirs seuls conféraient une grande situation. Depuis, on a transféré une part considérable de ce pouvoir à une nouvelle classe qu’on n’a pas investie de devoirs publics, et qui n’a pas été rattachée aux grandes masses par l’exercice de devoirs sociaux. Par exemple, l’administration de la justice, le gouvernement des paroisses, la construction des chemins et des ponts, le commandement de la milice et de la police, le soin de procurer de l’ouvrage et de distribuer des secours aux malheureux : autant de grands devoirs généralement imposés jadis à ceux qui exerçaient le pouvoir politique et qui en jouissaient. A présent, on a une classe qui a atteint ce grand objet, convoité par tous les opulens, le pouvoir politique, mais sans subir les conditions attachées à sa possession. Quelles sont les conséquences ? Ceux qui possèdent le pouvoir sans s’acquitter de ses devoirs, sont désireux de s’épargner le plus possible de frais et d’ennuis. Ayant obtenu l’objet pour lequel d’autres étaient prêts à faire des sacrifices de leur argent et de leur peine, ils sont désireux de le garder sans préjudice de leur bourse et de leur temps. Pour sauvegarder la première, ils réclament un gouvernement à bon marché, et, pour ménager le second,

  1. Ostrogorski, I, p. 59.