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gauche, « bientôt, sur toute la ligne parlementaire, les liens traditionnels du parti se relâchèrent ; il n’y eut plus de discipline, on ne put désormais plus faire fond sur ses partisans[1]. » C’est le premier échec sérieux, et ressemblant à une défaite, du régime parlementaire classique.

De tous les côtés, on s’en étonne et on s’en indigne. Croker écrit à lord Brougham : « Appelez cela comme vous voudrez : Chambre des communes intraitable ou pays ingouvernable, il est hors de conteste que notre système représentatif non seulement risque d’être discrédité, comme vous le craignez, mais qu’il l’est déjà, et qu’à chaque session, il deviendra de plus en plus incompatible avec ce qu’on appelait jadis notre constitution. » La prédiction n’est pas démentie par l’événement : on lit dans le Journal de Greville, pour la session de 1854 : « Tout le cours de la session et les rapports du gouvernement avec la Chambre ont présenté quelque chose de bien différent assurément de ce qu’on avait jamais vu, de mémoire d’homme d’Etat ; ils ont marqué la rupture complète des liens et des obligations de parti… » Pour la session de 1855 : « Il n’y a personne qui reconnaisse des devoirs de fidélité ou du moins des liens de parti ou qui paraisse tenir à quelqu’un ou à quelque chose. » — Donc, plus de discipline. — Pour la session de 1856, Greville note, d’après Graham, « qu’il n’y a pas à la Chambre un seul homme qui ait dix partisans, ni Gladstone, ni Disraeli, ni Palmerston. » — Donc plus de chefs. — Un observateur étranger, envoyé pour étudier les institutions britanniques, et qui devait rapporter d’Angleterre les conclusions tout autres qu’on ne les attendait, l’ami de Lassalle et le futur confident de Bismarck, Lothar Bücher, essayait une définition des partis, et n’arrivait qu’à celle-ci, amusante, mais insuffisante : « Un whig est celui qui descend de la grand’mère de John Russell ; un tory est celui qui se tient derrière Disraeli[2]. » Sir John Walsh ne trouvait guère mieux : « Qu’est-ce qu’un libéral ? » demandait-il. Et il répondait : « Celui qui ne se rendrait pas à l’invitation de lord Derby de venir à Saint-James Square pour l’entendre. Je ne connais pas d’autre critérium[3]. » — Donc, plus de programme. — Mais plus de discipline, plus de chefs, plus de programme, qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire : plus de partis ;

  1. Ostrogorski, I, 00.
  2. Lothar Bücher, Der Parlamentarismus wie er ist, p. 113.
  3. Sir John Walsh, The practical result of the Reform Act 1832, p. 85.