Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle veut dire : en gros, il semble qu’elle signifie que la grande qualité, la qualité souveraine d’un parti politique, c’est d’abord d’être « politique, » de n’être que cela (et non pas un parti de religion, de nationalité, d’ordre ou de classe) ; étant cela, de « ne s’inspirer que des principes » (et non pas de l’intérêt, des préjugés, de la sympathie ou de l’antipathie) ; ne s’inspirant que des principes, de « n’avoir en vue que le bien de l’Etat » (et non pas son bénéfice particulier) ; n’ayant en vue que le bien de l’État, d’y travailler librement (et non selon une formule ou sous des hommes dont il deviendrait l’esclave), constamment (et non par à-coups, selon les jeux de sa fantaisie).

La bonne théorie s’indignait de ce que quelque hérétique ou sceptique osât dire que « le principe du progrès, qui est certainement une loi de l’histoire générale de l’humanité, paraisse ne jouer aucun rôle dans l’histoire des partis, et que tels ils étaient dans l’antiquité, tels ils sont demeurés jusqu’à ce jour. » — C’est là une erreur profonde, tranchait-elle. Sans doute la nature humaine, qui est aussi le fondement des partis (et l’on partait de là pour tenter une classification psychologique des partis, par tempérament et par âge : le radical, c’est l’enfant « surtout réceptif » et dont les qualités sont « surtout féminines ; » le libéral, c’est « le jeune homme ayant terminé ses études et entrant dans la vie conscient de lui-même et de sa force ; » le conservateur, « c’est l’homme de trente à quarante ans, moins occupé d’acquérir des biens nouveaux que d’améliorer et d’étendre ceux qu’il possède ; » l’absolutiste, enfin, c’est l’homme âgé, « c’est le sexagénaire » en régression vers l’enfance et le radicalisme puéril)[1] ; sans doute, donc, la nature humaine, qui est aussi le fondement des partis, est demeurée la même en son fond, et les passions excitées peuvent conduire, aujourd’hui comme il y a deux mille ans, à des actes d’odieuse barbarie… Toutefois, et malgré les crimes isolés qui ont ensanglanté notre époque, un souffle plus humain a tempéré les haines, et les luttes civiles

  1. Bluntschli, d’après Rohmer. — Cette classification psychologique des partis, piquante et ingénieuse, mais, certainement aussi, arbitraire et fragile, jouit quelque temps d’une faveur rare. Frédéric Rohmer exposa pour la première fois sa théorie, en 1842, dans le Beobachter aus der östlichen Schweiz ; et, deux ans après, son frère, Théodore Rohmer, la publia en volume sous le titre : Friedrich Rohmers Lehre von den politischen Parteien, Zurich, 1844. Réimprimé postérieurement par Beck à Nordlingen.