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au passé, employer des moyens ineptes, poursuivre un but insensé, et cependant mériter encore cette honorable qualification. Mais un parti n’est plus qu’une faction, quand il se met au-dessus de l’Etat, quand il subordonne les intérêts de l’État aux siens, le tout à la partie[1]. » On reconnaissait le « parti » à ce que, étant fait d’hommes, « il servait sans doute des intérêts particuliers, mais, avec eux et au-dessus d’eux, étant politique, il servait également l’intérêt général, qui le plus souvent l’emportait. On reconnaît la « faction » à ce que, dans « son égoïsme triomphant, » elle ne songe qu’à « exploiter l’État à son profit. »

Le malheur est que tous les partis tendent à tout moment de tout leur effort à se mettre au-dessus de l’Etat, à subordonner ses intérêts aux leurs, à l’exploiter à leur profit, et par conséquent à se transformer ou à se déformer en factions. Le malheur est que, si tel parti « accepte légèrement toute innovation » et si tel autre « s’attache anxieusement au passé, » si tous plus ou moins et tour à tour « emploient des moyens ineptes » dans la poursuite « d’un but insensé, » ce but n’est plus dès lors « un but politique ; » ce ne sont plus des « partis politiques ; » ils n’ont plus droit à « cette honorable qualification ; ils ne s’inspirent plus d’un principe politique ; » ils ne sont plus « en harmonie avec l’Etat ; » ils ne sont plus « compatibles avec lui ; » ce n’est plus le parti, mais la faction ; ce n’est plus une fonction organique, mais une maladie de l’Etat, dont elle annonce et marque déjà « la dégénérescence. »

Or, c’est ce qui arrive toujours ou presque toujours : il n’est pour ainsi dire pas un parti qui, par le pouvoir, du reste, ou par l’opposition, n’exagère son programme, n’exaspère sa manière, et finalement ne s’altère et ne se résolve ou ne se dissolve en faction. Mais si le passage du parti à la faction est rapide et facile ; si, d’un côté, les partis sont nécessaires ou utiles à la vie de l’Etat, et si, de l’autre côté, il est inévitable que tôt ou tard ils se décomposent en factions, l’Etat vit donc d’une succession de décompositions et de recompositions, à la façon dont le corps vit du renouvellement des cellules. Quelle règle tirer de ce fait de biologie politique ? Pour rendre plus sûre et plus calme, plus forte et plus féconde, la vie de l’Etat, vaut-il mieux rendre la cellule plus résistante, ou plus aisé le phénomène de

  1. Bluntschli, ibid., 323. Ici, savante explication philologique du mot latin pars, à la fois parti et partie.