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constitution et la loi fixent le droit applicable à tous, et mettent des bornes aux menées des partis. Le juge ne regarde que la justice ; le ministre ne peut employer les fonds de l’Etat au profit d’un parti, ni édicter des mesures de police fondées sur l’esprit de parti ; les lois doivent demeurer impartiales, Ce n’est que là où la politique commence que l’esprit de parti peut se donner libre cours[1]. »

A lire cela, ne jurerait-on pas lire du Corneille ? « Il doit, » « ils doivent ; » dites au moins : « il devrait. » Car, la faiblesse humaine, qu’en faites-vous ? Et pouvez-vous demander à vos fonctionnaires de tout ordre et de tout degré, à vos 600 000 fonctionnaires, d’avoir des âmes de héros ? Pensez-vous que leur tiède cœur se livre à lui-même incessamment cette espèce de combat de Don Rodrigue partagé entre l’amour et l’honneur, entre le droit et le devoir ? Et, s’il le livre, combien de fois l’honneur et le devoir ne seront-ils pas vaincus ? Dire en même temps au même homme : « Sois impartial » et : « Sois un homme de parti, » n’est-ce pas d’un seul coup l’écraser sous la contradiction, et préparer à ses défaillances la meilleure de toutes les excuses : celle de l’impossible, à quoi nui n’est tenu ? Voilà ce que le bon sens répond aux professeurs de philosophie politique, qui parlent ici un peu en poètes. Et il n’est pas sans les embarrasser ; à tel point qu’ils ne s’en tirent que par la distinction subtile, — et classique d’ailleurs, — du parti et de la faction.

Le parti est un bien, la faction est un mal ; l’homme d’un parti est un citoyen vertueux, l’homme d’une faction est de la graine d’anarchie ou de tyrannie. « Le parti ne se confond point avec la faction. Celle-ci en est l’exagération et la dégénérescence, et elle est aussi désastreuse pour l’Etat que les partis lui sont utiles. Les partis se forment et grandissent dans une nation saine, les factions dans une nation malade. Les uns complètent l’Etat, les autres le déchirent. Dans sa croissance, l’Etat est animé par les partis ; dans sa décadence, il est la proie des factions. Un parti politique est un parti qui s’inspire d’un principe politique et qui poursuit un but politique. On l’appelle « politique, » parce qu’il est en harmonie avec l’Etat, compatible avec lui, et dévoué au bien commun. Un parti peut avoir de nombreux défauts, accepter légèrement toute innovation ou s’attacher anxieusement

  1. Bluntschli, ibid., p. 321.