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de se demander après coup ce qu’ils signifient. Celui de M. Jaurès se divise en trois parties : la première historique, — M. Jaurès a interprété la Révolution à sa manière : tout le monde n’en fait-il pas autant ? — la dernière purement philosophique et religieuse. La seconde seule se rapportait à la loi en discussion. M. Jaurès s’y est montré aussi étroitement sectaire que personne : « Quiconque, a-t-il dit, n’a pas renoncé doctrinalement et pratiquement à contester la liberté absolue de la personne humaine n’a pas le droit d’enseigner dans une démocratie fondée sur ce principe nécessaire. » Et qui donc conteste la liberté absolue de la personne humaine ! Serait-ce la science déterministe, par hasard ? Non, c’est le christianisme ! Une pareille affirmation surprend, lorsqu’on songe qu’aucune doctrine philosophique ou religieuse n’a plus fait pour la suppression de l’esclavage antique et pour l’établissement de la liberté moderne. M. Jaurès le nie-t-il ? Il le reconnaît, au contraire, très pompeusement ; mais, à côté du principe de liberté que le christianisme a apporté au monde, il aperçoit et bientôt même il voit seulement le principe d’autorité qui ne lui est pas non plus étranger. « Et voilà comment, s’écrie-t-il, par un double effet contrasté, le christianisme a tout ensemble enchaîné et déchaîné l’homme, le liant à des formules d’absolutisme suscitant en lui l’audace de rêves prodigieux, et déconcertant la logique abstraite par sa complication de martyrs et de bourreaux, de servitudes intellectuelles et d’élans passionnés, d’atrocités inquisitoriales et de tendresse mystique, la douce lueur de l’étoile du matin et la flamme sinistre du bûcher ! » C’est l’éloquence de M. Jaurès, beaucoup plus que le christianisme, qui joue ici d’un « double effet contrasté. » Laissons de côté les oppositions de mots et, si l’on veut, d’idées qui remplissent tout son discours comme le passage que nous en avons cité. Ce qui, suivant son aveu, déconcerte sa logique, ne serait-ce pas la richesse des élémens qui composent le christianisme et qui l’adaptent si parfaitement à la complexité de la nature humaine ? L’autorité a sa place en ce monde aussi bien que la liberté, et il en faut surtout dans l’éducation ; mais il n’y a et il ne doit y avoir de véritable autorité que celle qui est librement acceptée. Lorsque les religions, s’appuyant sur le bras séculier, essaient de s’imposer par la force, l’abus est odieux ; mais ce n’est pas celui qui, de la part du christianisme, nous menace le plus aujourd’hui. M. Jaurès croit le contraire. Le principe d’autorité est à ses yeux si nécessaire à l’Église qu’il y doit finir par supprimer le principe de liberté. M. Jaurès est convaincu, beaucoup plus que bon nombre de catholiques, et il affirme