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d’un congrès des religions. M. Ribot a constaté que nous étions un peuple de théologiens. La théologie est très estimable lorsqu’elle reste à sa place, mais sa place n’est pas dans les assemblées politiques. Elle y devient vite malfaisante. Il y a dans les vérités, et aussi dans ce qu’on nous permettra d’appeler les contre-vérités religieuses, quelque chose d’absolu, et par conséquent d’impérieux et de tranchant, qui convient mal à la politique ; car la politique est le domaine du relatif. On y vit de concessions réciproques et de transactions.

Nous n’étonnerons personne en disant que M. Combes est un théologien. M. Buisson, rapporteur de la loi, en est un autre. La manière dont il argumente sur les trois vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté est toute théologique, scolastique même, et il y a quelque chose de terrifiant, qui rappelle les excommunications du moyen âge, dans la manière dont il retranche de la société laïque les imprudens qui les ont formés. Il est d’accord sur ce point avec M. Combes, pour lequel les moines ont cessé d’être des citoyens : à peine reconnaît-il en eux des hommes. La seule différence entre M. Combes et M. Buisson est que ce dernier, après avoir posé un principe, se rend moins bien compte de ses conséquences, et lâche de biaiser avec elles. M. Buisson s’imagine qu’après avoir retiré tous les droits à la Congrégation, on peut les laisser aux congréganistes. Il considère ces derniers à titre individuel, ut singuli, et ils redeviennent alors à ses yeux des hommes et même des citoyens. Comment s’opère cette métamorphose ? Mystère ! Après avoir affirmé, et mis toute sa force à démontrer que les trois vœux ne laissent rien subsister de ce qui constitue la liberté et la dignité humaines, et que, par conséquent, les congrégations qui les forment se condamnent elles-mêmes à certaines incapacités, M. Buisson fait volte-face et aboutit à la conclusion la plus imprévue. Le caractère nuisible de ces vœux ne se manifeste qu’en société ; le venin en disparaît dès qu’on s’y soumet dans la solitude. M. Buisson est entré, pour justifier cette distinction subtile, dans des explications plus subtiles encore, et a poussé le libéralisme jusqu’à reconnaître que chacun de nous avait le droit, sans s’exposer à une déchéance civique, de se lever dans sa chambre au milieu de la nuit et de s’y livrer à des macérations plus ou moins mortifiantes. Si c’est une concession, il faut l’en remercier ; mais il ne s’agit là d’aucun des trois vœux. Comprenne qui pourra ! M. Aynard, cherchant à le faire, a cru subitement y être parvenu et s’est écrié : J’y suis ; on peut être moine tout seul ! Mais alors, ce ne sont pas les vœux en