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une force qui lui assuraient une supériorité incontestable. Rondeaux ni virelais ne devaient point tenir contre le rival glorieux qui arrivait chez nous accompagné d’un cortège de sentimens tout brillans de l’éclat de leur délicatesse et de leur pureté.

A ce point de vue encore, l’introduction du sonnet témoignait d’un progrès notable. Grâce à lui, une conception nouvelle de l’amour allait pénétrer notre poésie. L’amour tel que le célébraient les poètes de l’école de Marot, c’était l’amour à la gauloise, dont le vrai nom est le plaisir. C’est maintenant l’amour courtois qui nous revient idéalisé encore par le rêve de deux grands poètes. Il s’adresse comme un culte à la femme et révère en elle des perfections qui l’élèvent en quelque sorte au-dessus de l’humaine condition. Il n’est plus de sa nature inconstant et changeant ; mais il se fait au contraire une loi de la fidélité. Il n’est pas badin, railleur et jovial ; mais vivant dans l’inquiétude, dans la crainte de déplaire à l’aimée et de la perdre, il trouve à la mélancolie elle-même une irrésistible séduction. Tout à la fois il subit avec angoisse l’obsession de l’idée toujours présente de la mort, et il s’exalte à se savoir plus fort que celle-ci. C’est l’amour épuré de tout ce qu’il y a de grossier dans le désir des sens, démesurément agrandi par la pensée de l’infini et de l’éternel. Dès son premier recueil, Du Bellay a su en donner dans son fameux sonnet de l’idée une expression adéquate. Et puisque ce sonnet est une traduction de l’italien, c’est donc bien la preuve que nous devons à l’Italie ce courant de sensibilité, qui venu du platonisme de Dante et du pétrarchisme, pénètre désormais notre poésie pour aboutir quelque jour à l’idéalisme lamartinien.

Est-il d’ailleurs une preuve plus significative de la part prépondérante qu’a eue dans notre Renaissance l’influence de Titane ? Certes, c’est du nom des anciens que les jeunes poètes se recommandent. Mais, on l’a souvent remarqué, les anciens étaient depuis longtemps connus, admirés, commentés chez nous ; les œuvres antiques ne nous devinrent d’utiles modèles que du jour où elles nous apparurent transfigurées par la conception artistique venue de l’Italie. Et ce sont les genres de l’antiquité que les novateurs se proposent de restaurer : c’est l’ode pindarique, le long poème imité d’Homère, l’églogue imitée de Théocrite, la satire à la manière d’Horace, la tragédie dans le goût de Sophocle. Mais c’est dans cette partie de leur programme qu’ils furent inégaux à leurs ambitions. Ils ne s’étaient pas avisés que les genres créés par l’âme antique en accord avec ses besoins, pourraient se trouver moins bien adaptés à l’esthétique moderne.