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de bois que montrera l’exposition, ce sera l’un des plus regardés, même en face de la Vierge de Moulins dont il est le frère germain. Rien n’égale la beauté de cette mère de Dieu, emportée sur les nuages roses et dorés par une théorie d’anges de Jean Fouquet, jolis, tendres, rappelant ceux de la chapelle de Jacques Cœur à Bourges. Quelqu’un a dit : C’est le Murillo du Louvre, peint par Meissonier, avec la palette du plus éclatant coloriste. C’est un feuillet de livre d’Heures mis sur bois par un incomparable artiste.

Pour les démonstrations tentées, nous aurons mieux que cela encore, mieux que Fouquet même, car l’artiste dont nous allons parler possède aujourd’hui un état civil complet ; l’œuvre que nous exposerons a sa note précise, son acte de commande ; nous savons la date à laquelle on commença le tableau, et quand il fut placé sur l’autel dans le pays où il est encore. Longtemps les critiques autoritaires, tel Michiels, dont la fureur baptisante était extrême, l’avaient admiré, puis donné à Van Eyck, — naturellement ; — puis à Van der Meire. Plus modestes, les Provençaux en reportaient l’honneur au roi René. Là-bas la légende du roi-peintre est vivace ; il n’est pas de tableau, grand ou petit, bon ou mauvais, qui ne lui soit donné : on lui faisait donc gloire du Couronnement de la Vierge de Villeneuve-lès-Avignon.

Ces années dernières M. l’abbé Requin, dont les recherches habiles nous ont appris tant de choses nouvelles, rendait à Enguerrand Charonton, de Laon, la paternité de l’œuvre. Un prêtre d’Avignon, Jean de Montagnac, l’avait commandée à l’artiste et lui en avait ordonné la composition un peu touffue. Enguerrand Charonton, le peintre, recevait 126 florins pour sa besogne, il la devait terminer avant le mois de septembre 1454, c’est-à-dire au temps où Van Eyck venait de mourir, où Jean Fouquet débutait ; où Roger de la Pasture était dans la force de son talent. Par une chance bien rare, le programme complet du travail et la disposition générale du plan avaient été transcrits dans l’acte de commande retrouvé chez un notaire d’Avignon. Nulle part au monde, œuvre de peinture ne saurait administrer de façon plus éclatante sa preuve d’authenticité et d’origine. Mais une constatation se fera là qui vaut plus encore : c’est que la prétendue manière flamande n’est pas seulement de Flandre ; le tableau de ce Laonnois autorise nos inductions ; il nous enseigne que bien des panneaux égarés, enrégimentés sous la bannière