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cependant sera posé à ce propos, et l’on s’efforcera d’y répondre, c’est le pourquoi de ces Gueldrois italianisés, adonnés à ce travail de façon transalpine baptisé « l’ouvraige de Lombardie » chez les familiers du duc de Berry. Or, nous avons la constatation péremptoire d’infiltrations réciproques d’Italie en France et de France en Italie à ce moment ; nous savons qu’un Français, Jean Mignot, et un Brugeois, vivant à Paris, ont été requis par les Milanais pour construire le Dôme, qu’ils ont été remerciés après disputes avec les architectes du pays. Ces deux hommes sont architectes, mais Jacques Cône, l’un d’eux, est aussi peintre, et son nom se présente volontiers lorsqu’on parle des Très riches Heures de Chantilly, à cause de la perfection architectonique rencontrée dans ce livre, et aussi parce qu’il travaille chez Pierre de Vérone, bibliothécaire du duc de Berry. Si ce que nous soupçonnons était démontré, nous aurions une explication naturelle à des faits pleins de mystère. Tant de la manière ultérieure des frères Van Eyck s’aperçoit aux œuvres dont nous parlons ! Tant de descendances se constatent indiscutables ! Il faudra bien qu’on remarque les identités d’invention et de technique entre les Très riches Heures et la Vierge au donateur du Louvre ; on sera forcé d’admettre que, des auteurs des manuscrits à l’auteur de la peinture, le lien se resserre. Ce sont les mêmes types, les mêmes accessoires, les mêmes oiseaux, ou les arbres pareils ; mais surtout le paysage indique une parenté. N’en croyons plus les phrases toutes faites, stéréotypées depuis deux siècles, et affranchissons-nous de fausses idées. Le duc de Berry n’avait pas d’ailleurs uniquement des Flamands à sa Cour, comme on l’a dit ; ses comptes n’en nomment que rarement. La plupart des peintres mentionnés sont de nos compatriotes, Michel Saumon, Jean d’Orléans, François d’Orléans, Colart de Laon, peintres de profession, et non miniaturistes, comme les Limbourg, Beauneveu ou Jacquemart de Hesdin. L’un d’eux, Jean d’Orléans, a été le premier ordonnateur de la corporation des peintres en 1391 ; c’est un personnage, il est d’Orléans, et habite à Paris la rue Mauconseil. Le duc de Bourgogne lui verse près de 400 livres d’alors pour un tableau sur bois, ce qui équivaut à près de 15 ou 20 000 francs d’aujourd’hui ! Nous les ignorons, mais ils existaient, et leur vie fut consciencieusement employée. Au regard des nouveaux venus, un peu entachés de « fasson estrange, » de métier étranger, ils étaient comme les traditionnels du sol. Il faut donc