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l’art difficile des débarquemens. Mais, à la guerre, il faut compter avec l’ennemi. Ne peut-on pas supposer que les Japonais, l’esprit tout rempli des théories d’école qu’ils ont minutieusement étudiées, se trouveront désorientés en face de l’imprévu de la pratique ? C’est ce qui arrive à beaucoup de bons élèves, qui ne sont que de bons élèves. Les Européens qui emploient des Chinois, les meilleurs des sous-ordres dans le train journalier des affaires, leur reprochent de perdre facilement la tête quand quelque circonstance inattendue vient les troubler. D’aucuns veulent voir là une caractéristique générale de la race jaune. Il a paru à certains épisodes de la guerre russo-japonaise et de l’expédition contre les Boxeurs en 1900, qu’une fois un plan adopté, les Japonais s’y obstinaient trop, contre vents et marées, ne voulant ni le modifier, ni même y changer ce qu’il faut pour le plier aux circonstances[1]. On prétend, d’autre part, que la race jaune a une tendance, fâcheuse à la guerre, à ne se décider qu’en conciliabules, à ne pas oser prendre de responsabilité personnelle, ce qui affaiblit le commandement ; mais ne convient-il pas de se garder de généralisations un peu hâtives ?

Ce que l’on peut dire, c’est que l’armée japonaise est très jeune ; on est en droit de se demander si elle s’est bien assimilé non seulement la lettre mais l’esprit de ce qu’elle a appris ; si ses cadres ne se sentiront pas un peu troublés dans la pratique de la guerre ; enfin si, après une défaite, en dépit de son patriotisme ardent et de l’énergie des hommes qui la composent, elle ne perdrait pas confiance dans ses chefs. Mais ce ne sont ici que des questions que la réflexion suggère, que l’événement seul peut résoudre ; et, lorsque nous sommes tentés d’y répondre affirmativement, avons-nous des données suffisantes, ou ne sommes-nous pas plutôt le jouet de notre orgueil d’Occidentaux, qui serait froissé de croire que nos élèves, si jeunes encore, puissent déjà nous égaler ?


III

Les aptitudes maritimes des Japonais ne le cèdent en rien à leurs aptitudes militaires. L’Empire du Soleil-Levant, avec ses

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1904, l’article du général- Frey, sur l’Entrée des Alliés à Pékin (14-15 août 1900).