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Américains ; la monnaie uselle du pays, la seule qui inspire confiance, c’est l’argent ou le papier japonais.

Mais, disent les Japonais, tant que nous ne dirigeons pas complètement l’administration de ce pays qui a tant de coins fertiles, qui devrait être notre grenier à riz, notre fournisseur d’alimens de toutes sortes, nous ne pouvons ni l’exploiter nous-mêmes, ni profiter seulement du peu qu’en tirent ses paresseux habitans, parce que nous sommes à la merci des caprices d’un gouvernement ignare et corrompu, qui, sous un prétexte futile, interdira un beau jour l’exportation du riz ou des feuilles de mûrier, empêchera nos négocians de tenir leurs contrats, révoquera les concessions qu’il nous aura faites. Il faut donc que nous y soyons les maîtres, que nous commandions effectivement et, sous quelque fiction diplomatique que ce soit, que nous puissions y assurer notre sécurité contre nos ennemis du dedans et contre ceux du dehors.

Ce n’est point mal raisonné, et il est fort naturel que les Japonais veuillent être les maîtres absolus en cette Corée qui peut seule leur fournir le territoire dont ils ont besoin.

En revanche, il est fort naturel aussi que les Russes n’aient pas envisagé sans inquiétude cette installation japonaise en Corée ; non pas, semble-t-il, qu’ils puissent tenir beaucoup à la presqu’île pour elle-même. Qu’est-ce que ces 220 000 kilomètres carrés auprès de leurs 22 millions ? Et qu’iraient faire, en un pays qui a 45 habitans au kilomètre, les moujiks, qui se trouvent déjà trop serrés lorsqu’ils atteignent cette densité ? Pratiquant la culture la plus extensive, à faibles rendemens et à jachères triennales, les paysans russes ont besoin de terres vraiment vacantes et bien autrement étendues. Au point de vue militaire, maintenant que la Russie possède à Port-Arthur une sortie sur la mer libre, que chercherait-elle à la pointe de la Corée, à Mokpo ou à Masampo, elle qui peut atteindre par voie de terre, — et c’est là sa grande force, — tous les pays asiatiques ? La possession de cette station navale pour faire communiquer Vladivostok et Port-Arthur, qui sont reliés par chemin de fer en arrière de la Corée, et dont il est facile d’améliorer encore la communication terrestre, vaudrait-elle une grande guerre ? La raison sérieuse pour laquelle les Russes ne veulent pas voir les Japonais s’implanter en Corée, c’est que ce pays, une fois fortement occupé, solidement fortifié, devient pour les insulaires une vaste tête de pont