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Peuplée seulement comme la France, ou comme le Nord du Niphon, l’île pourrait nourrir près de 7 millions d’hommes. Si les Japonais y envoyaient la moitié de leur accroissement annuel de population, ils mettraient vingt ou vingt-cinq ans à la peupler ainsi. Mais, cette belle île, au climat frais, qui nous rappelle nos pays d’Occident, leur paraît un peu froide : le riz a peine à y venir et les légères maisons de bois, aux panneaux de papier, dont ils ont l’habitude, les protègent mal de froids qui descendent souvent à 12 et 15 degrés au-dessous de zéro ; ils n’y peuvent sacrifier à leur coutume nationale « d’adorer les courans d’air, » comme disait un jour un vieux diplomate frileux. Aussi Yezo ne tire guère ses colons que de la partie septentrionale et centrale de Niphon ; le Sud-Ouest de l’Empire, c’est-à-dire la région la plus encombrée, ne lui en envoie presque pas.

Acculés à la nécessité d’émigrer hors de, leur archipel, où iront les Japonais ? Essaimeront-ils chez les autres ? Ils ont essayé, à l’instar des Chinois, mais il leur est difficile d’exercer d’autres métiers que des métiers urbains : commerçans, artisans, manœuvres, jardiniers tout au plus. J’en ai rencontré sur tous les rivages du Pacifique : à Singapore, comme à Vladivostok, ils étaient fort nombreux ; les coiffeurs français se plaignaient à moi de leur concurrence ; en Colombie Britannique, à Vancouver, je vois encore l’un d’eux, groom dans un hôtel, tellement absorbé dans sa grammaire anglaise, qu’on n’en pouvait obtenir aucun service ; Thursday Island, port important d’escale et de pêche perlière au Nord de l’Australie, est tout peuplé de Japonais. Ils pénètrent dans l’intérieur des terres. Traversant la Sibérie, à l’automne de 1897, je trouvai un cuisinier japonais dans le wagon-restaurant de Vladivostok à Khabarovsk, et ayant logé en cette dernière ville dans l’hôtel le mieux tenu que j’eusse vu depuis l’Oural, je constatai en soldant ma note que l’hôtesse était une Japonaise. Souvent, il faut l’avouer, les sujettes du Mikado, qui ne craignent pas non plus d’émigrer, exercent des professions plus hospitalières encore. Mais, dans ces pays étrangers, les Japonais, pour être moins mal vus que les Chinois des populations blanches auxquelles ils se mêlent bien davantage, sont encore suspects. Il ne leur est pas aisé d’acquérir des terres. L’entrée de la Colombie Britannique leur est aujourd’hui interdite, ou peu s’en faut, comme celle de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. D’autres pays, il est vrai, semblent