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C’était tout autre chose : c’était, chez Goethe, une admiration très raisonnée, — un peu aveugle, puisqu’elle l’égarait sur la chute prochaine de l’Empire, — une admiration fondamentale et très tenace du génie napoléonien. Goethe n’a pas été un flatteur d’occasion. Il est demeuré toute sa vie, — après Waterloo et la Restauration, après Sainte-Hélène et la mort, — un bonapartiste convaincu. Il admirait en esthète, en poète, à peu près comme Byron, l’expansion prodigieuse de cette volonté humaine. Il admirait la pénétration de cette intelligence : « la plus grande, » disait-il, « que le monde ait jamais connue. » Il n’avait aucun souci d’apprécier la valeur morale des œuvres auxquelles l’une et l’autre s’employaient. A plus forte raison, ne se trouvait-il gêné ou limité, dans son admiration, par aucun scrupule patriotique.

La philosophie n’était pas plus que la littérature clémente au mouvement national. Hegel avait, en 1807, abandonné Iéna et l’Allemagne du Nord pour chercher à Bamberg, en Bavière, un abri médiocre.

Demi-journaliste, demi-professeur, il mûrissait son système philosophique avec une parfaite indifférence pour les événemens du temps, qui se traduisait en lourdes railleries sur le mouvement national. Ce qu’il voyait de plus clair dans les événemens de 1813, c’est qu’on venait de lui payer, en mai, le maigre salaire que les réformes politiques de Montgelas et la désorganisation complète des finances bavaroises lui laissaient attendre depuis deux ans et plus.

« Mais que de peine pour en arriver là, » écrivait-il. « Il est vrai que nous avons eu un puissant secours, rien moins que l’approche de cent mille Cosaques, Baschkirs, patriotes prussiens, etc. Le mieux, c’est que nous avons eu notre argent sans les Cosaques, sans les Baschkirs, et sans la séquelle de nos précieux libérateurs. »

De Nuremberg, le 23 décembre 1813, après l’évacuation complète de l’Allemagne par les Français, il écrivait encore : « Le prix du billet de logement dans les auberges est de 1 fl. 12 kr. pour un Russe (jusqu’à 1 fl. 30 kr. ou 2 florins), de 52 kreuzers pour un Autrichien (pour un Français ce n’était que 48 kreuzers), de 36 kreuzers pour un Bavarois, de 24 kreuzers pour une recrue bavaroise. Quelle gradation instructive ! Si le Russe coûte trois fois plus cher que la recrue bavaroise, cela