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Bourbonnais et des Deux-Ponts. Il savait infiniment mieux, lui aussi, le français que l’allemand. C’était de la tête aux pieds un Français du XVIIIe siècle, l’homme sensible, avec la touche inévitable de scepticisme, de laisser aller moral, aimant infiniment à semer ses bienfaits, à faire le bonheur de ses sujets, mais n’aimant rien tant, disait-on, que de payer leurs dettes.

L’ambassadeur de Wurtemberg à la Cour des Tuileries, Winzingerode, raconte qu’un jour, Napoléon, voulant savoir sans doute quels étaient les progrès de la propagande française en Allemagne, demanda aux enfans de Winzingerode, âgés de six à huit ans, s’ils étaient Allemands ou Français. C’était sans doute aller un peu vite, et les enfans répondirent qu’ils étaient Allemands. Mais Winzingerode assure que cette réponse lui attira de l’Empereur la sortie la plus violente.

Et ce n’était pas seulement l’aveuglement de l’autocrate qui ne concevait plus de limites à cette sorte de dénationalisation de l’Allemagne ! Un homme d’esprit comme Beugnot, malgré son bon sens et sa finesse, manifestait la même infatuation lorsqu’il s’entretenait avec les Allemands des progrès de la pénétration française.

« Des circonstances qui vous sont aussi familières qu’à moi arrêtèrent aux bords du Rhin l’impulsion que Louis XIV donna aux lettres françaises, » écrivait-il, en 1808, au professeur et patriote hessois Christian von Rommel, qu’il cherchait à conserver au royaume de Westphalie. « Dans les temps postérieurs, les lettres allemandes n’ont pas avancé parce qu’elles ont trouvé sur leur chemin bella, bella atque horrida bella. Je crois qu’il y aura tout à gagner pour elles de l’introduction d’une cour française au milieu de l’Allemagne. Marbourg, Halle, Göttingue, Leipzig nous apporteront de bonnes connaissances et nous leur donnerons en échange l’ordre, la méthode, l’application. Nos littératures se rapprocheraient promptement avec un succès égal, s’il n’y avait entre elles une barrière difficile à franchir : l’ignorance où nous sommes de votre langue, l’extrême difficulté de l’apprendre et la presque-impossibilité de la parler. J’ai touché là le vrai point de la difficulté, » ajoutait Beugnot, « c’est votre langue qui vous isole de l’Europe et qui vous retarde. Mais vous serez forcés de parler la langue française et je regarde cette obligation comme un grand moyen d’avancement pour les sciences et les lettres en Allemagne. »