Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveau qu’il ne connaissait pas les intentions ultérieures du gouvernement, il laissa trop entendre, pour son honneur, que l’Empereur trouverait en Angleterre un accueil convenable : « Si même, dit-il, les ministres avaient une autre volonté, l’opinion publique, plus puissante en ce pays que la souveraineté elle-même, les forcerait à agir selon les sentimens généreux de la nation anglaise. » Lallemand, que sa participation au complot militaire du mois de mars mettait sous le coup d’une condamnation capitale, demanda à Maitland si certaines personnes de la suite de l’Empereur couraient le moindre risque d’être livrés par l’Angleterre au gouvernement des Bourbons. « Certainement non ! répondit Maitland avec feu, le gouvernement anglais ne pourrait jamais avoir la pensée d’en agir ainsi dans les circonstances qui accompagneraient l’arrangement dont il s’agit. » La question était toute personnelle à Lallemand, mais la réponse, où se trouvait le mot arrangement, semblait s’appliquer aussi à Napoléon.

Les deux parlementaires prirent congé de Maitland. En le quittant, Las Cases lui dit que, vu les circonstances il serait possible que l’Empereur vînt sur le Bellérophon afin d’y attendre les passeports pour l’Amérique. « Soit, répondit Maitland, mais je désire qu’il soit bien compris que je ne garantis pas qu’on les accordera. » Las Cases pensait bien, lui aussi, que le gouvernement anglais refuserait les sauf-conduits, mais l’entretien avec Maitland avait affermi son espoir que l’Empereur trouverait dans une campagne anglaise une retraite sortable avec une demi-liberté. Chacun était dupe. Las Cases fut dupe de Maitland, Maitland fut dupe de lui-même. Maitland en avait dit plus qu’il ne voulait et plus qu’il ne croyait, et Las Cases avait prêté aux paroles de l’officier anglais une précision et une certitude qu’elles n’avaient point.

De retour à l’île d’Aix, vers onze heures, les parlementaires rendirent compte à l’Empereur. Ils ne dissimulèrent point leurs doutes sur l’obtention des sauf-conduits, mais ils parlèrent avec assurance de l’accueil que l’on trouverait en Angleterre. L’Empereur réunit ses amis en un dernier conseil. Il avait déjà fixé sa résolution, mais, « avant de les associer à sa nouvelle destinée, il voulait, dit-il, les prévenir de ce qui se préparait. » Rovigo, Bertrand, Gourgaud et Las Cases approuvèrent le projet. Montholon et Lallemand le combattirent ; ils se déliaient de la loyauté anglaise. Montholon dit qu’il vaudrait beaucoup mieux courir