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et de Chatham, on ne voulait point laisser prendre Napoléon par les Anglais. Six jeunes officiers, le lieutenant Genty, les enseignes Doret, Salis et Peltier, les aspirans Châteauneuf et Montcousu, prièrent Bertrand de soumettre un nouveau plan à l’Empereur. Il y avait en rade deux chasse-marée, sorte de chaloupes pontées, munies de deux mâts, l’Emilie et les Deux-Amis. Les officiers offraient d’équiper et de monter ces petits bâtimens avec six sous-officiers aussi résolus qu’eux-mêmes, et d’y recevoir l’Empereur et trois ou quatre personnes de son entourage. On profiterait de l’obscurité pour passer inaperçu de la croisière en rangeant la côte jusqu’à la hauteur de la Rochelle ; de là, on gagnerait la pleine mer. Mais, comme une navigation de long cours était impossible à des bâtimens de douze ou quinze tonneaux, on contraindrait à prix d’argent ou par la force le premier navire marchand que l’on rencontrerait à prendre l’Empereur à son bord pour le conduire aux Etats-Unis. Il y avait encore de braves gens en France !

Napoléon ne voulut pas refuser le dévouement des jeunes officiers, on nolisa pour son compte les chasse-marée et on en pressa l’armement ; les frégates fournirent une partie du gréement. Mais l’Empereur avait agréé ce projet, comme tant d’autres, sans dessein arrêté d’y recourir et tout disposé à saisir le moindre prétexte, la moindre difficulté, la moindre objection pour y renoncer. Il répugnait à tous ces expédiens. Il ne voyait, il n’avait jamais vu, depuis la Malmaison, que trois partis dignes de lui : reprendre le commandement de l’armée, mais en vertu d’ordres réguliers et non en factieux ; s’embarquer sur les frégates dans l’appareil impérial ; se livrer « à l’honneur anglais. »

Le prince Joseph était resté à Rochefort, où il s’était mis en rapport, comme grand-maître ou ancien grand-maître du Grand-Orient, avec un vénérable, François Pelletreau. Ce Pelletreau s’occupait d’affréter pour lui à Bordeaux un bâtiment américain. En apprenant, par une lettre de sa femme, la rentrée de Louis XVIII à Paris, Joseph fut effrayé des dangers qui menaçaient l’Empereur, s’il tardait davantage à quitter la France. Le 13 juillet, il se fit conduire à l’île d’Aix pour proposer à son frère de gagner avec lui les bords de la Gironde afin de s’y embarquer sur le navire qu’avait nolisé Pelletreau. Pendant leur entretien, le général Lallemand revint de Royan. Il avait vu le capitaine Baudin. Celui-ci attendait toujours l’Empereur. « Il se faisait fort de le conduire au bout du monde, » soit sur la Bayadère, soit sur