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commencement de la séance, en quelques paroles très touchantes, il supplia les cardinaux de ne point penser à lui : « Sono indegno ! sono incapace ! Dimenticatemi ! Je suis indigne ! Je suis incapable ! Oubliez-moi ! » s’écriait-il avec une sincérité d’accent qui, malgré lui, augmentait sas chances en augmentant l’estime qu’il inspirait. Ce même soir, en quelques paroles très dignes, le cardinal Perraud, exprimant l’opinion des Français, protesta, en invoquant une constitution de Pie IX, contre l’intrusion d’une puissance politique dans l’élection. On fut un peu étonné qu’aucune voix d’au-delà des Pyrénées ne vînt appuyer cette protestation.

Au scrutin de lundi matin, le cardinal Sarto arrivait en tête avec vingt-sept voix ; puis venait Rampolla avec vingt-quatre, Gotti avec six, Prisco, Oreglia, Capecelatro avec chacun une et un bulletin blanc. C’était évidemment pour le cardinal Rampolla le commencement de la fin ; mais il restait à vaincre l’opposition même du cardinal Sarto, qui renouvela immédiatement sa supplication plaintive. Ses amis particuliers s’y employèrent et firent un pressant appel à sa conscience pour le décider au sacrifice. « Il n’avait qu’un mot à dire et l’élection était faite. Ce mot, Dieu et l’Eglise le lui demandaient. Se dérober au fardeau, c’était se dérober à un devoir évident. »

Le mot fut dit, le consentement fut arraché quelques minutes avant le scrutin du soir, et, au commencement de la séance, le cardinal Satolli déclara que le cardinal Sarto, cédant aux instances de ses collègues, s’en remettait de son élection à la Providence. Il obtint trente-cinq voix, sept de moins que la majorité nécessaire. Le cardinal Rampolla descendit à seize, Gotti en eut sept, Oreglia deux, Di Pietro une, Capecelatro une.

L’élection était assurée pour le lendemain. Le mardi matin, tout commença comme à l’ordinaire. Les trois scrutateurs désignés par le sort furent les cardinaux Cassetta, Mathieu et Martinelli. Leurs opérations furent naturellement suivies avec plus d’attention encore que les jours précédens et un mouvement marqué se produisit dans l’assemblée quand le nom de Sarto fut prononcé pour la quarante-deuxième fois. Il obtint encore huit suffrages, dix restèrent fidèles au cardinal Rampolla et deux au cardinal Gotti. Les trois recenseurs nommés pour contrôler ces chiffres furent les cardinaux Richard, Manara et della Volpe, et, à onze heures, la voix du vénérable archevêque de Paris proclama que le patriarche de Venise était nommé pape par cinquante voix.